Extrait de l’émission Fichu dimanche, animée par Marcel Truquet, enregistrée le samedi 20 décembre dans les studios de Téléfrance 1 (Mylène de Castelbougeac y interroge Jean-Marie Fondar déguisé en Fantômarx) :
« Mylène de Castelbougeac : M. Fantômarx…
Fantômarx : Restons simple, ma jolie…appelez-moi Marx !
MdC : Si vous voulez. Mais à mon avis, « fantôme » tout court vous irait mieux. Cela fait plus d’un mois que vous ne donnez plus signe de vie. Votre dernier coup, si j’ose dire, remonte à la découverte de ce pauvre Monsieur Bouteflamme, retrouvé en caleçon sur le parking d’une enseigne discount de l’Essonne, beuglant sans cesse : « je ne suis pas le père de l’enfant de Farida Cherki ! ». Avez-vous décidé de remplir les hôpitaux psychiatriques de personnalités politiques ?
F : [reniflement de mépris] Vous ne comprenez rien, ma pauvre petite, ou alors vous ne vous tenez pas au courant. Je n’ai cessé, au contraire, de m’activer ces derniers temps à la destruction du monde capitaliste ! L’embuscade contre les soldats français en Afghanistan, par exemple…
MdC : C’était vous, ça ?
F : Evidemment…en l’occurrence, j’ai laissé mes amis talibans tirer la couverture à eux, ou plutôt le tapis, en ce qui les concerne…[rire caverneux]. Mais jamais ils n’auraient pu faire autant de dégâts sans mon aide.
MdC : Laissez-moi deviner la suite…la crise boursière, c’est vous aussi ?
F : Cela va de soi. Quel bonheur de voir tant de spéculateurs ruinés !
MdC : Et d’entreprises mises en faillite ! Que faites-vous de tous ces chômeurs ?
F : Simples dégâts collatéraux. J’ai moi-même perdu pas mal de fric dans les paradis fiscaux où je l’avais placé. Chacun sa merde, si je puis me permettre…
MdC : A ce propos, ne craignez-vous pas que la proposition de Lucas Zarkos de combattre ces paradis fiscaux ne soit dangereuse pour vous ?
F : Ne me parlez pas des gesticulations de ce nabot ridicule. Autant lui demander le retour du beau temps. D’ailleurs, à ce propos…
MdC : Ne me dites pas que vous êtes pour quelque chose dans les intempéries de ces derniers jours !?
F : Eh si, ma chère ! Vague de chaud, vague de froid, inondations et tempêtes, rien ne m’est étranger. Quand je vous disais que je n’étais pas en vacances ! [rire tonitruant s’achevant en toux pitoyable]
*
Il était un peu plus de neuf heures ce dimanche matin, quand Jean-Marie Fondar, en short et tee-shirt, se mit en devoir de s’échauffer les muscles sur son rameur de fabrication allemande. Après quoi, un bon footing en bord de Seine et une partie de squash au club de gym achèveraient de le remettre en forme. Le reporter vedette du Beaumarchais était plutôt content de sa prestation télévisuelle enregistrée la veille. C’était la première fois qu’il s’essayait au genre parodique, et Marcel Truquet lui avait assuré qu’il y avait toute sa place, en tandem ave la belle Mylène.
« Toujours aussi bandante, celle-là ! songea-t-il en accélérant la cadence de ses coups de rame, avec un zeste de rage. La belle blonde s’était une fois de plus refusée à ses avances, lors du pot de fin d’émission.
-Je ne suis pas sûre qu’il y ait encore de la place pour moi dans ton agenda, avait-elle grincé. Tu fréquentes tant de beau monde…
-Si tu fais allusion à Amara N’Diaye, je te signale que c’est fini.
-Et avec Valérie Moriscot-Coryzet, c’est toujours du développement durable ?
Il avait failli s’en étouffer avec son champagne. Sa relation avec la jeune Secrétaire d’Etat à l’environnement, une rousse flamboyante, devait pourtant rester ultrasecrète.
-Co…comment sais-tu que…
-Ce qu’il y a de bien avec toi, c’est que tu es trop fier de tes succès pour faire semblant de nier. Quant à trahir mes sources, tu peux te brosser.
-Tes sources ! Pas difficile à deviner : ce doit être cette névrosée de Bérénice. Elle saute sur tout ce qui bouge, mais cela ne l’empêche pas de surveiller quiconque s’approche de son épave de mari.
-Epave peut-être, mais il paraît qu’il assure. Ta chère Valérie en sais quelque chose, je crois…que veux-tu, il faut les comprendre : ils doivent s’ennuyer à mourir à faire semblant de défendre ce qui nous reste d’environnement. Fais gaffe à toi, mon mignon, il paraît que ta rouquine raffole des jeunes journalistes biodégradables !
« La salope ! » gronda-t-il en forçant encore l’allure. La sonnerie de son téléphone fixe vint troubler la quiétude de son appartement. Pas de fioriture musicale, une bête sonnerie bien casse-pied. Jean-Marie laissa courir, attendant que le répondeur se charge de l’emmerdeur du dimanche matin.
« Je sais que vous êtes là, M. Fondar, dit une voix au timbre métallique. Libre à vous de continuer à ramer, mais je crois que ce serait une erreur… »
Jean-Marie Fondar se redressa d’un coup, une soudaine poussée de sueur au front qui ne devait rien à ses exercices. Il regarda nerveusement autour de lui, cherchant vainement où pouvait bien se cacher la caméra qui l’espionnait. La déco dépouillée de son appartement de célibataire laissait peu de possibilités. La litho de Mykonos ? L’étagère aux coupes sportives ?
La bibliothèque ? L’écran plat ?
-Ne perdez pas votre temps, M. Fondar. La technique moderne fait des miracles de miniaturisation. Je vous conseille de décrocher. On ne fait pas attendre quelqu’un comme moi.
Le jeune homme saisit le combiné d’une main moite.
-Fantômarx, je présume ? Ou une bonne blague bien montée ?
-Vous vous croyez tellement célèbre que l’on chercherait déjà à vous piéger ? [ rire méprisant]
Parlons plutôt de vos talents d’imitateur…
Jean-Marie avala péniblement sa salive. L’émission venait tout juste d’être mise en boîte, et ne devait être diffusée que l’après-midi. Le salaud avait des antennes partout !
-Je pensais que vous aviez le sens de l’humour, lança-t-il d’une voix qui se voulait assurée.
-Et vous pensez bien. C’est justement pour cela que j’ai décidé, pour la première fois, d’accorder une interview à la presse décadente de ce pays. J’ai longtemps hésité quant à la personne qui aurait cette faveur. L’émission d’hier a fait pencher la balance : ce sera donc vous, ainsi que votre adorable collègue, qui recueillerez mes confidences.
-Où ? Et quand ?
Il y eut un rire plus léger que d’habitude au bout du fil.
-J’aime les gens de votre espèce…toujours droit au but, comme avec les femmes, n’est-ce pas ? Ça passe ou ça casse !
Jean-Marie rougit jusqu’aux oreilles. Cet empaffé devait avoir une fiche complète sur lui !
-Venons-en au fait, s’il vous plaît…
-Et l’humour, jeune homme ? Et l’humour ? Bon, vous avez raison. Vous disposez, je crois, d’un merveilleux téléphone portable avec oreillette et petit micro, une merveille de discrétion tout en branchitude, de marque finlandaise…
Jean-Marie était partagé entre la fureur et la panique.
-Cessez de jouer avec moi, putain !
-Quelle grossièreté ! Mais je vous pardonne…d’ailleurs, ce serait plutôt à moi de m’excuser de faire ainsi intrusion dans votre petite vie. Mettez donc votre appareil, habillez-vous décemment et attendez mes instructions.
Un simple clic mit fin à ce premier échange.
*
A moins d’une centaine de mètres de là, à l’intérieur d’une fourgonnette jaune banalisée, trois hommes attendaient dans une pénombre relative. Les diodes et les cadrans lumineux d’une foultitude d’appareils électroniques éclairaient d’une lueur verdâtre leurs visages tendus. Le « sous-marin », véhicule espion du GASP (Groupe d’action spéciale de la présidence), venait de capter une communication du plus haut intérêt.
-Poussin à mère poule, dit l’un des gars dans son micro, le poisson a mordu. Attendons instructions.
*
Un peu avant dix heures, Mylène de Castelbougeac fut tirée des bras de Morphée par d’incessants coups de sonnettes. Après avoir grommelé d’abominables insultes, la jeune femme finit par capituler devant l’insistance de l’emmerdeur. Elle s’enveloppa dans un peignoir rose et traversa son petit appartement encombré de meubles anciens dépareillés et d’œuvres d’art d’un goût douteux.
« Mmouais... ? grogna-t-elle dans l’interphone.
-Ah, quand même ! s’exclama Jean-Marie Fondar. Madame daigne se lever !
-Si j’avais su que c’était toi, je ne me serais pas donnée cette peine ! C’est dimanche, alors bon dimanche, sous vos applaudissements, comme disait l’autre ringard…
Elle allait raccrocher méchamment quand son collègue poussa un beuglement :
-Nooon ! Je t’en prie ! C’est pas des conneries ! Nous tenons le scoop du siècle ! Que dirais-tu d’une vraie interview de Fantômarx ?
Dans le hall de la résidence du Jardin des Plantes, sise rue Buffon à quelques pas du Muséum d’Histoire naturelle, Jean-Marie piétinait rageusement devant l’interphone. Il jeta un regard circulaire autour de lui, indifférent à l’atmosphère cossue des lieux. Personne ne l’avait entendu brailler.
Après d’interminables secondes et un profond soupir, la voix de Mylène crachota dans l’appareil :
-C’est bon. Je suis en bas dans dix minutes. Si tu t’es foutu de moi, je te les écrase…
-Les pieds ou les… ?
-Crétin.
Huit minutes plus tard, la belle était devant lui, dans un tailleur bleu impeccable, parfaitement maquillée, petit sac en cuir en bandoulière. Personne n’aurait pu croire que cette superbe blonde avait été un jour décoiffée, la mine basse et les yeux bouffis de sommeil. Jean-Marie lâcha un sifflement admiratif :
-Et on dit que les filles mettent un temps fou à se pomponner ! Tu m’attendais, ma parole ?
-Fais-moi le topo, sans te foutre de moi, je ne suis pas d’humeur. »
Ils s’éloignèrent dans le parc de la résidence, baigné de la rumeur lointaine de la cité qui ne troublait pas la quiétude des lieux. En quelques minutes, Mylène fut au parfum. Ses yeux verts étincelaient.
-Si ce n’est pas un canular, mon grand, je comprends que tu m’aies sortie des plumes ! Et où va-t-on maintenant ?
-Aucune idée…il doit m’appeler incessamment pour me donner la suite du programme. C’est lui qui commande, ma chère.
-Et c’est lui qui t’as demandé de te fringuer comme ça ?
Le jeune homme portait un survêtement et des chaussures de sport, un bonnet de laine, et bien entendu son portable à oreillette. Mylène pouffa :
-Le parfait joggeur du dimanche !
-C’est malin…mais qui rigolera s’il faut piquer un sprint ? Mademoiselle et ses talons hauts ? Nous risquons peut-être de tomber dans un fameux traquenard. Rappelle-toi ce journaliste de Minute convoqué par Jacques Rismaine, l’ennemi public numéro un des années 70.
-J’étais à peine née, et toi pas davantage ! D’ailleurs, s’il avait été en survêt’, cela ne l’aurait pas protégé des balles de cet assassin…
-En tout cas, il n’a pas voulu que je prenne ma bagnole. Fous-toi de moi, mais je serai mieux pour marcher.
Le portable de Jean-Marie se mit à vibrer.
-Alors, les tourtereaux sont réunis ? ricana la voix métallique.
-On peut dire ça, grimaça le journaliste en fixant sa collègue aux aguets.
-Vous direz à votre charmante amie que le bleu lui va très bien.
Jean-Marie eut un léger sursaut, et regarda à nouveau soupçonneusement autour de lui. Le parc était désert. Il vit passer dans la rue, derrière le grillage de clôture, deux joggers et un cycliste. Une voiture fila sans s’arrêter. La façade du Musée juste en face, peut-être ?
-Si c’est pour me faire comprendre que vous nous matez n’importe où, c’est réussi.
-Vous pigez vite. Allez maintenant à la station de métro de Jussieu. Je vous rappelle là-bas.
*
A cinquante mètres sous l’Elysée, une annexe du PC Jupiter (QG de la force de frappe nucléaire et abri du président de la République) abritait les locaux de commandement du GASP. Dans la salle d’opérations, l’état-major restreint, entouré des quelques techniciens, avait les yeux braqués sur le grand écran luminescent où s’affichait un plan géant de la capitale. Ils suivaient particulièrement un point rouge clignotant qu’un agrandissement de l’écran tactile permit de mieux localiser. Les traceurs posés à leur insu sur les vêtements de Jean-Marie Fondar et de Mylène de Castelbougeac fonctionnaient à merveille. Une équipe spéciale s’en était chargé pendant que les deux journalistes enregistraient leur émission dans les studios de Téléfrance.
-Ils remontent la rue Geoffroy, commenta un type assez âgé au collier de barbe grise surgi tout droit des années 70. On a du monde par là ?
-Un cycliste, un autre gars en scooter les suivent à distance. L’hélico et le commando viennent de décoller, répondit son plus proche voisin, un moustachu à la mine patibulaire. Ils n’attendent qu’un ordre pour converger.
-Il ne faudra pas se planter, dit un autre homme d’apparence juvénile, avec un léger cheveu sur la langue. La chèvre est en deux exemplaires. Pour le gars, ce Fondar, ça ne pose pas de problème…il n’a plus aucune famille connue. Le pigeon idéal : un petit jeune homme bien-pensant, tout dévoué au système libéral qui lui a tant donné. Son père et son frère sont morts quand il avait deux ans. Sa mère était fille unique, elle est décédée l’an dernier.
Le barbu approuva.
-L’appât idéal, facile à sacrifier.
-Et à manipuler, tant ce petit con est arriviste, ajouta le moustachu. Il a vraiment cru qu’il démarrait hier une carrière dans le show-biz ! Le plus dur a été de convaincre Marcel Truquet d’embaucher ce rigolo. Heureusement que Truquet est un grand pote du président. Les balades en vélo autour du bassin d’Arcachon, ça crée des liens…Quant au PDG de Téléfrance, c’est Zarkos qui l’a nommé !
Le plus jeune ricana :
-Et ce Fondar sera facile à faire taire, tout journaleux qu’il est. Avec sa manie de coucher avec des secrétaires d’Etat mariées…la black, la rouquine : au moins il n’est pas raciste ! Par contre, la fille, c’est moins évident. Une famille bien bourge, avec plein de relations dans les médias et les milieux artistiques.
Le barbu hocha la tête.
-Ouais, il est fâcheux que Fantômarx ne ce soit pas contenté du petit con.
-Si c’est bien lui qui l’a contacté, tempéra le moustachu. J’ai du mal à croire que notre combine marche si facilement, alors que toutes les pistes que nous avons suivies jusque là n’ont conduit qu’à des impasses. Cette Fatoumata que nous avons choppée à Bamako n’avait rien à raconter, sinon les petits jeux cochons de Bouteflamme. Les Maliens ont eu beau la charcuter, rien à faire…Et là, paf, bingo ! Non, les gars, j’ai un doute.
Le jeunot haussa les épaules.
-Les coups de bol, ça existe. Je suis persuadé qu’en visant son orgueil, nous avons touché juste. Les profileurs sont formels.
Il y eut un silence, durant lequel les trois hommes contemplèrent la progression de leurs appâts.
-Métro Jussieu, lança un technicien. Le couple descend dans la station. L’agent 5-D est le plus près, et attend les consignes.
-Qu’il descende aussi, ordonna le barbu. On n’aura pas de problème de pistage en sous-sol ?
-Pas dans le métro, précisa le technicien, grâce aux bornes wi-fi qui font relais. Le satellite peut continuer à les tracer.
-N’empêche qu’il vaut mieux les avoir à l’œil ! grommela le barbu. Et pas moyen de localiser l’origine des appels reçus par Fondar ?
-Non. Ils sont trop courts, et envoyés d’un téléphone fixe, probablement de différents postes, des cabines téléphoniques par exemple. Le gars est malin, et bien équipé. Il doit se servir d’un routeur pour utiliser à distance plusieurs appareils très éloignés. On ne l’aura pas comme ça…
*
Mylène et Jean-Marie s’engouffrèrent dans la station de Jussieu sans un regard pour les bâtiments hideux de la faculté des sciences, véritable verrue de ce quartier historique. Ils furent bientôt sur le quai, peu fréquenté en ce dimanche matin où le soleil n’incitait guère aux balades en sous-sol. Comme d’habitude, l’air y était chaud et poisseux.
Le téléphone de Jean-Marie s’était remis à vibrer.
-Oui ?
-Vous prendrez la prochaine rame, direction La Courneuve. Vous êtes sur le bon quai ?
-Oui, oui…
-Bien. A très bientôt.
Jean-Marie et Mylène embarquèrent cinq minutes plus tard. Ils ne pouvaient s’empêchaient de scruter les autres voyageurs, essayant de deviner quel mouchard Fantômarx avait pu mettre à leurs trousses. Un type assez costaud, à la mine sombre et en tenue de sport, retint particulièrement leur attention. Son baladeur et le petit micro dépassant du col de son blouson pouvaient faire de lui un suspect idéal. Le problème était que ce genre de gadget était devenu d’une banalité affligeante, et qu’un bon dixième des usagers du métro en étaient pourvus.
A la station Châtelet, les deux journalistes reçurent la consigne de descendre et de changer de ligne, passant de la 7 à la 11, direction Mairie des lilas. On leur fit encore changer à République pour la Gare de l’Est, retrouvant ainsi la ligne 7. En quelques stations, la faune avait nettement changé, passant de la teinte rose pâle au marron ou à l’anthracite. Le costaud en survêt avait disparu. Mylène allait le faire remarquer à son compagnon, quand le téléphone de celui-ci se manifesta à nouveau :
-Vous êtes suivis, fit laconiquement la même voix métallique. Et pas seulement par mes hommes.
-Je vous assure que nous n’y sommes pour rien ! dit précipitamment le jeune homme, un peu trop fort.
Mylène lui fit signe de baisser d’un ton, sous le regard morne des autres voyageurs, souvent eux-mêmes plongés dans la musique de leurs joujoux à oreillettes.
-Je vous crois, M. Fondar, et je ne soupçonne nullement votre charmante amie. La flicaille se passe visiblement de votre consentement pour vous manipuler. A Stalingrad, vous descendrez rapidement et prendrez la rue de Kabylie. Sonnez au numéro 3.
*
L’agent 19-D, une Antillaise d’allure fort banale, signala aussitôt la descente des deux appâts. Elle reçut l’ordre de leur filer le train.
-Ne les lâchez pas d’une semelle ! Vous allez être seule dans le secteur pendant cinq minutes, avant que les renforts ne soient là. On compte sur vous !
-Entendu ! fit la femme en se lançant sur les pas du couple.
Ce dernier retrouva la lumière du jour, et la bonne odeur de gazole frais vint remplacer les remugles du métro dans leurs narines blasées de Parisiens. Jean-Marie et Mylène, suivis de peu par l’Antillaise, traversèrent le boulevard de la Chapelle et s’engagèrent dans la rue de Kabylie. Le numéro 3 était au-delà de l’angle que formait la rue. Une porte blindée, donnant accès à un immeuble en rénovation. Il y avait une sonnette flambant neuve avec plusieurs boutons, dont l’un était marqué d’un point rouge.
-Je suis sûre que c’est sur celui-là qu’il faut appuyer, souffla Mylène.
-C’est logique, approuva Jean-Marie en pressant dessus.
Une voix étrange, apparemment enregistrée, grésilla aussitôt :
-Entrez et montez au troisième étage, deuxième porte à gauche.
Il y eut un déclic, et la porte s’ouvrit sur un couloir obscur. L’allumage automatique du plafonnier révéla un bric à brac de pots de peinture, de sacs de plâtre et d’escabeaux. Ils avaient tout juste la place de se faufiler jusqu’à un escalier fraîchement repeint. La porte d’entrée se referma derrière eux dans un claquement sec. Jean-Marie et Mylène échangèrent un regard plein d’appréhension avant de gravir les marches en ciment. Alea jacta est !
*
La tension était à son comble au QG du GASP. Cela faisait bientôt vingt minutes que les appâts étaient entrés dans l’immeuble de la rue de Kabylie. L’agent D-19 avait été rejointe par une fourgonnette d’écoute et d’intervention, avec un commando de six hommes en civil. Une autre équipe de six hommes encerclait tout le pâté d’immeubles compris entre la rue de Kabylie, celle de Tanger et le boulevard de la Chapelle. La police venait d’être mise en alerte avec pour consigne de ne pas s’interposer, mais de se tenir à la disposition du GASP. On comptait sur elle pour maintenir les badauds à distance.
Enfin, plus en altitude, un hélico bourré d’électronique balayait le secteur d’intervention de ses caméras à rayon X, détecteurs infra-rouges et autres micro-lasers directionnels.
Devant les écrans de la salle de contrôle, les trois chefs du GASP réceptionnaient les données que commentaient les techniciens :
-Ils sont toujours dans cet appartement du troisième étage, sans bouger. Deux personnes assises, deux autres debout. Personne d’autre dans l’immeuble, apparemment. L’un des types debout parle le plus souvent, et semble répondre aux questions des deux personnes assises. Le quatrième ne dit rien.
-On arrive bien à capter ce qu’il raconte ? demanda le moustachu.
-Impec’…vous en voulez un extrait ?
L’homme à barbe grise acquiesça.
« …d’après vous, la situation financière mondiale annonce-t-elle la fin du capitalisme ?
-Ce serait trop beau, la bête a des ressources ! Mais elle est touchée, elle saigne…c’est le moment d’en finir… »
-Que donnent les analyses de voix ? demanda le jeune homme au cheveu sur la langue.
-Nous avons recoupé différents enregistrements vocaux par ordinateur. Les probabilités d’avoir affaire à Fantômarx, Fondar et Castelbougeac sont d’au moins 90%.
-On les tient ! s’exclama le jeune homme. Que j’aimerais être là-bas !
Tous les regards convergèrent sur l’homme à barbe grise. C’était à lui de donner l’ordre. Le commissaire Francis Labrousse, ancien chef de la brigade anti-gang, était un homme d’expérience. C’était pour cela que le président l’avait choisi pour diriger le GASP.
« Je vais vous dire une chose, Francis, lui avait-il dit en lui prenant le bras : je crois que pour cette mission, vous serez le meilleur ! C’est vous qui avez eu la peau de Rismaine en 1978. Les bien-pensants vous ont reproché de l’avoir abattu sans sommations, mais moi, je sais que vous avez bien fait. Qu’est-ce vous deviez faire, qu’est-ce vous pouviez faire ? Vous avez fait le bon choix…il y a des types qu’il faut buter purement et simplement. Vous aurez tous les moyens possibles pour éliminer Fantômarx, et vous choisirez vos collaborateurs. Mais vous travaillerez en marge de la loi, pour les écoutes et le reste. Alors, ni vu ni connu, d’accord ? »
Labrousse avait donc constitué son équipe, avec pour adjoints immédiats des anciens des services spéciaux ayant travaillé pour Mitterrand et Chirac dans toutes sortes de coups tordus : le commandant Pourteau (le moustachu) et le capitaine Bourrel (l’éternel jeunot au cheveu sur la langue). Pour la partie « choc », des éléments du GIGN et du GIPN avaient été sélectionnés avec le plus grand soin, et le tout financé sur fonds secrets.
Et voilà…c’était le moment de vérité.
-Le commando est prêt ?
-Ils n’attendent que le « go ».
-Bien. Ils connaissent les consignes ?
-Protéger la nana en priorité, le mec ensuite. Flinguer les deux autres. Aucune prise de risque, on vise la tête. C’est Terrasson qui mènera l’assaut. Le meilleur.
Labrousse prit une profonde inspiration.
-Allez-y !
A suivre…
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