samedi 20 juin 2009

Chapitre 10 : Si tu vas à Rio, n’oublie pas qu’il peut y faire chaud…


Errata : les amateurs d’Histoire et d’architecture n’auront pas manqué de repérer la lamentable erreur figurant au chapitre précédent. Le château Renaissance de la famille Biondi, situé en pleine campagne, ne saurait être un « palais » (résidence urbaine) mais bel et bien une « Villa ». Merci à mon ami Pierre d’avoir levé le doute sur cette question !

A minuit pile, un formidable feu d’artifice vint enflammer le ciel de Rio de Janeiro. Les fusées tirées du Pain de Sucre et de plusieurs barges ancrées au large des plages d’Ipanema, de Copacabana, et dans la baie de Guanabara composèrent une féérie aussi bruyante qu’inoubliable. Le bouquet final, bleu, blanc rouge, ouvrait avec un peu d’avance l’année de la France au Brésil.

Accoudés à la balustrade de la terrasse, Lucas Zarkos et ses invités admiraient les dernières flammèches retombant vers un Océan peu à peu rendu aux ténèbres, tandis que crépitaient les applaudissements des badauds massés sur l’Avenida Atlantica.

-Joyeux Noël, M. le Président, susurra Mylène à l’oreille du petit homme qui lui massait les fesses de sa main libre, l’autre étant occupée par une coupe de cocktail au nom imprononçable.

-Ouais, joyeux Noël à tous ! brailla Jean-Marie en levant son verre au-dessus du vide. Ils ont cramé en quelques minutes de quoi nourrir tous les Sans-terre de ce pays pendant un mois ! M. Da Silva, vous avez le sens des priorités !

-Oh, ça va, joue pas ton gauchiste, soupira la belle blonde, qui se pencha à nouveau vers son présidentiel voisin, toujours occupé à la peloter, pour lui chuchoter :

« Il a toujours ce genre d’envolée quand il a trop bu…il culpabilise à cause de ses origines prolétaires…

-In vino veritas, commenta Zarkos. Mais je trouve cruel de laisser notre ami sans présence féminine ce soir. Cela doit lui porter sur le ciboulot ! C’est pas tout d’avoir la mine, comme disait mon prédécesseur, faut aussi le crayon…

Il avisa la plus jolie des serveuses qui s’activait à débarrasser la table à la lueur des torches. Une magnifique métisse aux formes plus qu’intéressantes, qui parlait assez de français pour la tâche que le présidentiel client de l’Ipanema Palace allait lui proposer.

*

La température ne cessait de monter au QG du GASP, malgré une climatisation des plus performantes. Sur les écrans, on vit les trois convives se mettre en maillot de bain avant de piquer une tête dans la piscine. Celui de la blonde, acheté la veille dans un magasin réputé de Rio, ne cachait vraiment pas grand-chose de sa sculpturale anatomie. La serveuse, après avoir empoché un gros paquet de billets du président français, s’était carrément mise à poil, puis plongea élégamment pour rejoindre les autres. Une caméra sous-marine permettait de suivre toutes les évolutions des baigneurs dans un bassin que les projecteurs illuminaient au-delà du nécessaire.

Le fond musical avait changé, laissant place à La Vania, au rythme syncopé d’Agua y amor :

« Eu sou o suor que treme no teu corpo

Eu sou a area que voce respira

Teu curaçao

Teu sentimento

Teu movimento

Dum-durum-dumdum… »

-C’est mieux que Loft Story 1, lança l’un des techniciens à ses camarades, tandis que le ballet nautique tournait franchement à l’érotisme.

Il y eut quelques rires nerveux.

-Vos gueules ! gronda le commandant Pourteau, qui suait à grosses gouttes. Ne vous laissez pas distraire !

Puis, se tournant vers l’un des gars en liaison avec l’équipe de l’hôtel :

-Où en est cette analyse du verre du Président ? Il faut savoir ce que ce Fondar, où je ne sais qui, a glissé dedans ! Notre homme déraille à plein tube !

-Je ne vous le fais pas dire, lâcha Charles Guéhaut. Si un seul paparazzo a réussi à déjouer notre filet de protection, et qu’il arrive à filmer ou photographier ça…

-Le verre vient juste d’être récupéré sur le chariot de service, dit le technicien. Les chimistes s’en occupent à l’antenne de l’hôtel, mais on n’aura rien avant une demi-heure !

-C’est beaucoup trop long, merde ! Il est évident que les choses se précipitent !

-Je serais d’avis de faire cesser rapidement cette plaisanterie, intervint Guéhaut. Trouvez un prétexte quelconque pour éjecter ces deux loustics, fouillez-les à fond et faites-les parler !

-Nous renoncerions ainsi à tout notre plan ? objecta Henri Nagant. Tout ça parce que nos suspects commencent à partouzer ? Je crois au contraire que nos soupçons se confirment, malgré les supputations du commissaire…

Ils se tournèrent d’un même élan vers Labrousse, qui ruminait dans son coin. Le savon que venait de lui passer Barcino, qui s’était fait lui-même avoiner par le vrai Président, lui restait encore en travers de la gorge. Comme le barbu faisait mine de les ignorer, le conseiller présidentiel reprit :

-C’est la blonde qui a pris l’initiative de la baignade, moyen commode de se débarrasser des vêtements que nous avions équipé de nouveaux traceurs. Mais pour le président, ils vont l’avoir dans l’os…notre « balise » est placée sur l’appât lui-même, à un endroit difficilement accessible, presque indétectable, et inconnu de notre chèvre elle-même ! Et vous voulez flanquer en l’air tous ces efforts ?

Et soudain, ce fut le noir. Toutes les lampes et tous les moniteurs s’éteignirent d’un coup. Il ne subsistait que la faible lueur de l’éclairage de secours, au-dessus de la porte principale.

-Hééé ! C’est quoi ce bordel ? hurla quelqu’un.

Les portables se mirent à vrombir frénétiquement. Nagant et Guéhaut décrochèrent le leur d’un même geste, tandis que les deux chefs du GASP réajustaient leurs oreillettes.

-Oui ? Qu’est-ce qui se p…

-Taisez-vous, et écoutez-moi attentivement, dit une voix glaciale au timbre métallique.

-Mais qui êtes-vous donc ? protesta Nagant.

-Fantômarx, bien sûr…

A aucun moment, les deux conseillers n’imaginèrent qu’il pouvait s’agir d’une blague.

-Le courant est coupé dans toute la ville, continua la voix. N’essayez pas de prendre l’ascenseur pour évacuer l’immeuble.

-Et pourquoi le ferait-on, cher Monsieur ?

-Parce qu’il va sauter dans cinq minutes. Je sais que vous et vos amis du GASP en êtes les seuls occupants à cette heure-ci. Si vous tenez à la vie, ne perdez pas de temps à emballer vos coûteux gadgets. Déguerpissez sur-le-champ !

Pourteau, Labrousse et les deux conseillers restèrent interdits un bref instant. Ils avaient tous les quatre reçu le même message.

-Tout le monde fout le camp ! Evacuation immédiate ! hurla Pourteau.

*

L’équipage de l’hélicoptère du GASP eut le souffle coupé par le spectacle de Rio plongée dans les ténèbres. L’immense cité lovée entre ses montagnes comme un épais boa scintillant venait littéralement de s’éteindre, à l’exception notable des grandes artères de la mégapole où les phares des véhicules formaient de longues processions de lucioles. Les groupes de secours de quelques rares bâtiments fournissaient ici ou là quelques taches de lumière, dont les plus importantes s’alignaient autour de l’aéroport international Antonio Carlos Jobim. Les lunettes de vision nocturne dont tous les hommes de l’hélico étaient équipés allaient mériter leur présence.

-Qu’est-ce que ce merdier ? gronda le capitaine Bourrel, dont la tension accentuait le cheveu sur la langue. On a toujours le retour des caméras, en bas ?

-Oui capitaine, le rassura un technicien, elles sont sur batterie autonome. Mais on n’y voit plus rien à cause de la panne de lumière au sol. Il faut utiliser nos propres caméras infrarouges, ce sera moins couvrant, mais c’est mieux que rien…

Le capitaine Bourrel fut soudain en contact avec le commandant Pourteau :

-Epervier, ici Hibou ! cria une voix essoufflée derrière laquelle on percevait le tumulte d’une cavalcade. Nous évacuons le nid ! Je répète, nous évacuons le nid ! Vous êtes à présent notre 2e QG, nos yeux et nos oreilles !

-Que se passe-t-il, bon sang ?

-Le nid va sauter ! Fantômarx connaît notre position ! Il va certainement frapper d’un instant à l’autre ! Mettez l’équipe au sol en alerte rouge ! Vous avez la liaison satellite ?

-Oui…la balise fonctionne parfaitement. Nous appliquons le plan prévu ?

-On maintient le plan…évitez d’ouvrir le feu, et laissez agir ces salopards, sauf s’ils s’en prennent directement à vous ou à des civils. Quand ils auront pris livraison, pistez-les et ne les lâchez pas…terminé !

Bourrel fit signe au pilote :

-On descend à l’altitude d’intervention, mais pas plus bas. Et que tout le monde ouvre l’œil !

Le capitaine avait un sale pressentiment. Si Fantômarx savait où le QG était planqué, il n’ignorait probablement pas que cet hélico noir qui patrouillait sans relâche depuis des heures appartenait aux services secrets français. Pour procéder tranquillement, il lui faudrait s’en débarrasser.

*

Toute l’équipe du QG au sol se retrouva bientôt hors de l’immeuble, renforcée par les gardes en faction au rez-de-chaussée. Menés par Pourteau, les hommes se regroupèrent à bonne distance du bâtiment, au milieu du petit square de la place Manuel Campos da Paz.

Il y avait pas mal de monde dehors, des fêtards plus ou moins éméchés que la panne de courant excitait plus qu’autre chose. De nombreuses voitures passaient en klaxonnant, éclairant violemment la place et les façades sans caractère de leurs phares blancs. Aux balcons des appartements voisins, des gens s’interpellaient d’une voix forte qui résonnait en écho dans toutes les rues du quartier. On entendait non loin un concert de sirènes de police.

-Les Brésiliens sont au courant, pour nous ? s’enquit Nagant auprès de Labrousse, qui portait comme tous les hommes du GASP sont micro-oreillette.

-Notre technicien lusophone vient de les prévenir. Leurs services spéciaux sont sur les dents depuis trois jours…ils mettent en route toutes leurs équipes et sont prêts à coopérer avec nous.

-Et la panne de courant ?

-Apparemment, c’est la centrale d’Electro-Brasil qui est en rade. Toute la région est dans le noir.

-La centrale nucléaire ? Celle qu’on leur a vendue il y a dix ans ? Mais ce n’est pas possible !

-Faut croire que si !

Le crépitement d’une fusillade les fit tous sursauter. C’était étonnamment proche, et il s’en fallut de peu que les réflexes conditionnés des hommes du GASP ne les fassent tous jeter à terre. Les gardes dégainèrent leur Sig-Sauer, coudes repliés, canons pointés vers le ciel, inspectant les alentours à l’aide de leurs lunettes infrarouges.

-J’ai le central de la police de Rio, dit le technicien préposé aux échanges avec leurs homologues brésiliens. Les coups de feu viennent de la Favela Morro dos Cabritos. Ils envoient les commandos anti-émeute et des hélicos de surveillance.

Labrousse se tourna vers la façade de verre de l’immeuble qu’ils venaient d’évacuer.

-Cela fait combien de temps ? demanda-t-il à Pourteau.

-Cinq minutes et trente secondes, répondit le commandant en consultant son chrono…je me demande si…

Une série d’explosions sèches retentit, faisant s’éparpiller de nombreuses baies vitrées sur toute la hauteur des dix étages de l’immeuble. Il y eut ensuite un grondement sourd, de plus en plus puissant.

-Eloignez-vous ! beugla Labrousse.

Tout le monde détala le plus loin possible de l’immeuble, qui commença à s’effondrer sur lui-même dans un épais nuage de poussière grise.

*

Alicia da Cunha n’était du genre vierge effarouchée. Vierge, elle ne l’était plus de puis l’âge de quatorze ans, lorsque son grand frère, maquereau et trafiquant de drogue, l’avait mise au trottoir pour alimenter les finances familiales. Quant à être effarouchée, passer les premières années de sa vie dans la « Cité de Dieu », la pire favela de Rio de Janeiro, cela vous blindait n’importe qui contre les petites peurs de l’existence.

Elle aurait pu tomber beaucoup plus bas, si un groupe de bonnes sœurs françaises ne l’avait arrachée à son misérable destin pour lui offrir une formation dans une école hôtelière associative. Son grand frère avait bien tenté de la reprendre à son service, mais un gang rival avait eu la bonne idée de lui tendre une embuscade dont il était ressorti avec pas mal de cervelle en moins et beaucoup de plomb en plus.

A dix-huit ans, Alicia avait réussi à se faire embaucher à l’Ipanema Palace, l’une des forteresses du tourisme de luxe de Rio. Un bon salaire et des pourboires généreux lui avaient permis de s’offrir, quelques années plus tard, un assez bel appartement dans un quartier résidentiel. Elle s’en était sortie. Ses charmes lui valaient de temps à autre les sollicitations payantes de quelque riche client, avec la complicité de la direction. Mais cette fois, Alicia pouvait choisir, et garder pour elle le fruit de ses prestations particulières.

Celle-ci n’était pas pour lui déplaire : s’envoyer en l’air dans une piscine avec un beau journaliste, en compagnie du président de la République française et d’une belle blonde, il y avait quand même pire moyen de gagner mille dollars américains.

La piscine de la suite présidentielle avait la forme d’un haricot, d’une vingtaine de mètres dans sa partie la plus longue, avec une sorte de petite plage en pente douce à son extrémité la plus étroite. On avait pied presque partout, mais c’était là que Mylène était venue s’allonger, telle une sirène alanguie, bientôt rejointe par Lucas Zarkos qui entreprit de faire sauter les bretelles de son ravissant maillot. Histoire d’exciter un peu son partenaire, Alicia nagea jusqu’à eux pour aller prêter main forte à un président dont le caleçon de bain dissimulait fort mal l’excitation.

Jean-Marie la rejoignit en quelques brasses, et les deux couples se retrouvèrent bientôt étroitement enlacés, à moitié immergés dans l’eau tiède. Alicia était nue, et offrait tout son corps brun aux mains avides du journaliste. Elle remarqua la montre étanche et rutilante du Français, à affichage digital, qui égrenait les secondes en gros chiffres rouges. Pour avoir vu son frère trafiquer toute sorte de choses, elle s’y connaissait un peu en montres de luxe, que les plus jeunes de sa famille allaient voler aux touristes sur les plages de sable blanc.

Cela ressemblait à une Breitling, mais elle n’en avait jamais vu de cette sorte. Un pincement un peu brutal de son téton gauche la ramena à sa tâche présente.

-Hola, delicadamente, senhor !

-Desculpe, répondit le beau brun en l’embrassant dans le cou.

Elle palpa ses épaules musclées, descendit vers son ventre aux abdos bien dessinés. Alicia avait eu des beaux mecs dans sa vie, mais celui-là valait le détour…

Et ce fut le noir. La piscine illuminée aux couleurs de lagon tropical ne fut plus qu’une sinistre étendue de liquide tiède, aussi sombre qu’une nappe de pétrole. Alicia poussa un petit cri de surprise.

-Qu’est-ce que ça veut dire ? s’exclama le président.

Lucas Zarkos, alias Andreas Papaphiloglou, se sentait vraiment dans un drôle d’état. Tout comme son illustre modèle, il ne tenait pas bien l’alcool. Le vrai Zarkos en avait fait la pitoyable démonstration lors d’un voyage en Russie, où un petit verre de vodka avait suffi à lui faire tenir des propos presque incohérents, épisode que les bons médias français s’étaient empressés de faire passer à l’as.

Mais là, son euphorie et son excitation dépassaient tout ce qu’il avait pu connaître. Au point que cette panne de courant ne le touchait pas plus que cela. Il n’avait plus qu’une idée en tête : finir de retirer son maillot à cette superbe blonde et passer à l’estocade. Mylène paraissait dans le même état d’esprit.

-Le noir ne m’a jamais fait peur, M. le Président, souffla-t-elle avant de lui darder sa langue dans la bouche, les doigts crispés sur la nuque humide et noueuse de Zarkos.

Elle y allait fort, la garce. Il sentit une pression encore plus marquée du côté des cervicales. Puis plus rien.

Mylène se dégagea de l’étreinte d’un président désormais inerte -mais pas de partout, à en juger par la dureté de l’éperon qui se frottait contre sa cuisse à travers le tissu du caleçon de bain. Elle le maintenait par en-dessous, de manière à lui éviter de se noyer.

-Jean-Marie ? fit-elle à voix basse, mais suffisamment audible malgré le clapotis de l’eau et les coups de klaxon venus de l’avenue en contrebas.

-C’est OK pour moi, répondit le journaliste, qui tenait serrée contre lui la belle métisse.

Alicia était devenue aussi molle qu’une poupée de chiffon.

*

Le toit de la suite présidentielle, qui constituait le dernier étage de l’Ipanema Palace, formait une sorte de « U » écrasé entourant la grande terrasse sur trois côtés, la partie ouverte donnant sur l’avenue et l’océan. Trois hommes du GASP y étaient postés, en tenue de combat noire.

Le plus gradé du trio, le lieutenant Forterre, avait reçu ses consignes par son casque radio, et fait signe aux deux autres de se mettre à plat ventre. Ils rampèrent jusqu’au rebord du toit pour balayer du regard la terrasse, et surtout la piscine. Leurs lunettes infrarouges leur permettaient de voir sans peine les quatre baigneurs qui barbotaient toujours dans la partie la moins profonde du bassin.

-Vigilant 1 à Epervier…les cibles sont toujours au bain. Elles ne bougent pas, ou très peu, et forment deux couples très serrés. A vous.

Dans l’hélicoptère, les caméras à haute définition donnaient une vue plongeante de la scène, que les techniciens s’efforçaient d’analyser à grands coups de thermo-scanning.

-Les quatre corps dégagent toujours la même chaleur, mais l’activité cérébrale de deux d’entre eux semble moindre.

-Précisez ! fit Bourrel. Lesquels ?

-Attendez une seconde…

Le technicien affina l’analyse en pianotant frénétiquement sur son clavier.

-La serveuse…et le Président !

-Putain, ça y est, lâcha le capitaine, rendez compte tout de suite à Hibou ! Epervier à Vigilant et à toutes les unités…

Le copilote de l’hélico poussa soudain un juron :

-Putain de merde, qu’est-ce qu’il vient foutre ici celui-là ? Intrus à une heure, il fonce vers l’hôtel !

-Qu’est-ce que c’est ? Analyse radar, vite !

Le préposé fit chauffer son appareil.

-Un hélico, un Mac Donnell Douglas 520 N à système Notar [no tail rotor, sans rotor de queue, NDA]. Il émet un identifiant de la police brésilienne. Il y a d’autres appareils en vol au-dessus de la ville.

Une voix crachotante résonna dans les écouteurs de Bourrel.

-Hibou à Epervier ! Le QG vient de sauter, je répète, le QG vient de sauter. C’est le bordel là en bas ! Il y aurait des groupes armés venus des Favelas qui sèmeraient la terreur dans les beaux quartiers…ça tiraille de partout…(bruit de coups de feu en fond sonore)…les Brésiliens ont fait décoller tous leurs hélicos d’intervention…

-Epervier à Hibou ! On en a un qui arrive en plein sur la cible ! Il va foutre la merde !

-Hibou à Epervier…les Brésiliens ont l’air un peu débordés (rafale de fusil d’assaut et cris en fond sonore)…on se tient à couvert…pouvons pas faire plus pour l’instant…essayez de contacter l’intrus…il n’a pas dû recevoir les consignes…terminé !

« Ouais, démerde-toi, quoi ! songea Bourrel en regardant à l’extérieur.

Des éclats bleutés ou orangés scintillaient de temps à autre comme des éclairs de flash à travers la ville. Il distingua même les pointillés d’une rafale de balles traçantes montant vers l’un des hélicos de la police depuis la favela de Morro Quieto.

Le copilote, qui parlait portugais, tentait de prendre contact avec le Mac Donnell. Celui-ci était à moins de deux cents mètres, un peu en dessous d’eux. Il allait s’interposer entre l’appareil du GASP et leurs cibles de l’hôtel.

-Ici Dauphin H-89, autorisation spéciale, code « France-Amistad », j’appelle MD 520 police de l’air immatriculé…PB 69R …vous êtes sur zone à protection spéciale, je répète, vous êtes sur zone à protection spéciale…exclusion aérienne totale !

A cinquante mètres de l’hôtel, le MD 520 s’arrêta brusquement, se balançant sur lui-même comme un lutteur de Sumo.

-Je crois qu’ils nous ont entendus, ces cons, souffla le pilote, soulagé.

-Ouais, approuva Bourrel, pour un peu, j’allais croire que c’était les salopards que nous attendons…

-Attendez, fit soudain le copilote, il y a un truc qui clignote à l’avant de leur engin…je ne sais pas ce que…

Il s’interrompit brusquement lorsque tous les instruments de bord s’éteignirent. A l’arrière, les écrans de contrôle des techniciens firent de même. Et au-dessus d’eux retentit un hululement sinistre. Le cri caractéristique d’une hélice quadripale qui ne tourne plus que sous l’effet de la vitesse acquise.

-La turbine est en rideau ! hurla le pilote.

L’hélicoptère du GASP commença à tomber.

*

Le lieutenant Forterre assista sans comprendre au désastre. A 100 mètres au-dessus de lui, le « Dauphin », dont les feux de position avaient cessé de fonctionner, tombait en glissade latérale vers l’avenue Atlantica. Il n’était pas difficile d’imaginer les efforts désespérés du pilote pour garder un semblant de contrôle sur l’appareil et lui éviter de se crasher sur l’un des immeubles élancés du front de mer, ou la grande artère longeant la plage de Copacabana.

L’engin frôla une camionnette, passa en trombe au-dessus de la plage où cavalaient des dizaines de personnes terrorisées et vint s’écraser dans les rouleaux de l’Atlantique, projetant une immense gerbe de sable et d’écume.

Les écouteurs du lieutenant grésillèrent aussitôt d’un appel d’une autre équipe, postée sur le toit d’un immeuble voisin.

-Vautour 1 à Vigilant 1 ! Qu’est-il arrivé à Epervier ?

-Vigilant 1 à Vautour 1…aucune idée ! On dirait que son moteur s’est mis en carafe d’un seul coup. Restez à votre poste…les secours vont arriver pour eux !

On entendait monter de partout des hurlements de sirène : pompiers, police, ambulances. Toute la cité était en ébullition. Dans la piscine, les cibles ne bougeaient toujours pas. C’était de plus en plus louche !

Le fracas d’un rotor interrompit ses réflexions. Un MD 520 de la police de l’air brésilienne était en train de descendre vers le toit de l’hôtel, créant un vent d’enfer qui agitait furieusement les plantes en pot et l’eau de la piscine. Un projecteur aveuglant prit soudain l’un des hommes du GASP dans son faisceau. Forterre le vit s’agiter convulsivement, puis s’écrouler. Le faisceau blanc balaya ensuite le toit jusqu’au deuxième sniper qui ajustait son Heckler and Koch, ayant compris que les intentions de cet hélico étaient tout sauf pacifiques. Mais le projecteur l’éblouissait trop pour qu’il puisse faire quoique ce soit d’efficace.

Il n’eut pas le temps de tirer qu’il s’effondrait à son tour.

Le lieutenant Forterre n’ y comprenait rien, mais l’instinct suppléa à l’intelligence. Il courut se mettre à couvert derrière un réduit de moteur d’ascenseur, armant son HK à viseur laser.

-Vigilant 1 à toutes les équipes des toits. Attaque en cours, je répète, attaque en cours ! Deux hommes à terre, arme inconnue…l’assaillant est un hélico de la police, immatriculé PB 69R.

-Ici Vautour 1…il s’en prend à nous on dirait ! Un homme à terre ici aussi ! Nous ripostons !

Forterre perçut une brève rafale, un cri étouffé, puis à nouveau le rugissement de l’hélico occupa tout le champ sonore. Le MD 520 apparut brusquement, ayant contourné son précaire abri. A son tour, le lieutenant fut ébloui par le projecteur comme un lapin dans les phares d’une voiture. Il ressentit un affreux vertige, et sombra dans le néant.

*

Jean-Marie Fondar avait les yeux rivés sur sa montre électronique. Un bref message s’afficha en lettres rouges :

TOITS DÉGAGÉS-EMBARQUEMENT IMMÉDIAT.

-On s’éjecte ! dit-il à Mylène. Passe-moi le colis.

Le jeune homme déposa délicatement le corps de la métisse sur la margelle de la piscine, puis chargea celui du président sur ses épaules, tel un sac de patates. La jolie blonde, qui avait rajusté son maillot, l’aida à s’extirper du bassin tout en jetant un oeil inquiet vers la grande baie vitrée communiquant avec la suite. En principe, les gorilles de garde dans le couloir d’accès, du côté des ascenseurs, avaient dû être neutralisés, mais elle n’en avait pas eu confirmation.

Son corps mouillé frissonnant sous le souffle des hélices, Mylène, s’avança vers l’espace le plus dégagé de la terrasse. L’hélicoptère venait de se positionner à dix mètres au-dessus d’eux. La portière droite s’ouvrit, laissant émerger un bras métallique soutenant une poulie et trois câbles accrochés à des harnais. Ils descendirent en quelques secondes, happés par Jean-Marie qui en équipa son fardeau avant d’aider sa compagne à s’harnacher. Quand il fut prêt à son tour, le jeune homme leva le pouce vers un type cagoulé et casqué penché sur eux depuis l’appareil.

Le couple et le président furent hissés d’un coup, en grappe humaine, et disparurent en un instant dans la cabine du MD 520. L’hélicoptère bascula sur la gauche, plongea vers la mer avant de redresser au dernier moment et de filer plein ouest, au ras des vagues.

A suivre…