dimanche 30 août 2009
Chapitre 17 : Thriller Night.
jeudi 27 août 2009
Chapitre 16 : Fantômarx se déchaîne.
« Je crois, messieurs, que mon idée de couper la liaison avec Paris n’était pas mauvaise.
-Affirmatif, approuva Labrousse. Si tu ne l’avais pas fait, le traître se saurait déjà démasqué en cet instant…
-Il doit quand même avoir des doutes, et en aura de plus en plus si on ne lui envoie pas de nouvelles assez vite, objecta Pourteau.
-Raison de plus pour ne pas traîner, enchaîna le commissaire. Qu’ils embarquent le « président » et ce vieux fou au plus vite !
Le colonel Fernandes transmit l’ordre à Terrasson, mais la caméra incorporée au casque de celui-ci leur montra le visage émacié et fourbe de Von Hansel :
« Le processus de lavage de cerveau ne peut être interrompu aussi vite, à moins de causer de graves lésions psychologiques au suuu-jet ! Il faut au moins cinq minutes à l’ordinateur pour faire cesser le programme en toute sécu-riii-té ! »
-Il nous mène en bateau pour gagner du temps, grommela Labrousse.
-Pas sûr, dit Pourteau. Et on ne peut pas prendre le risque de perdre notre président de rechange ! Ils n’ont qu’à mettre à profit ces cinq minutes pour mettre la main sur Fantômarx…
-Ben tiens, ça va être très facile !
Ignorant la remarque ironique de son chef, le moustachu poursuivit :
-Et nous devons en savoir plus sur cette histoire de transmuteur moléculaire ! Pourquoi Von
Hansel ne l’utilise-t-il pas ?
La question fut transmise au vieux savant, qui s’activait à lancer le processus d’arrêt de sa machine sous l’œil méfiant de ses gardiens.
« Le transmuteur moléculaire ? [petit ricanement agaçant] J’y travaille en ce moment dans le module n°3…Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas au point ! Quelques uns de mes plus beaux ratages sont conservés dans de l’azote liquide, ou bien rôdent dans la forêt en compagnie d’autres de mes cré-a-tions, Hé-héé! »
-Ben voilà, soupira Labrousse en grattant sa barbe grise. C’était du pipeau, j’en étais sûr ! Et compte tenu de l’identité du traître, cela colle parfaitement à ce que nous sommes en train de découvrir : on nous a tendu un piège, dont cet appareil fantasmatique constituait l’appât, tout comme l’éventuelle présence de ce Fantômarx…mais reste à éclaircir ce dernier point ! »
*
Ulrich Pickhardt, sous le coup de l’émotion, perdit des instants précieux avant d’élaborer sa contre-offensive. Des images terribles lui revenaient en mémoire. Celles de cette chambre d’hôpital de la Colonia, où il était venu rendre visite à son père à une heure tardive après sa troisième opération du cœur. Un triple pontage coronarien, dont l’issue demeurait incertaine d’après les toubibs qui avaient déjà pas mal charcuté le corps obèse de celui qui était encore à l’époque le directeur de la Sécurité de la Colonia Alemana.
« Il aura de la chance s’il est encore vivant demain matin, avait avoué l’un d’eux. Mais si tel est le cas, on a bon espoir de le retaper… »
Apparemment, n’avons pas le même espoir, avait songé Ulrich en pénétrant dans la chambre occupée par son père. La pièce était d’une blancheur immaculée, à l’exception du cadre noir de la fenêtre donnant sur la nuit tropicale. Les appareils d’assistance respiratoire ronronnaient autour du lit écrasé par la masse adipeuse du Direktor. Le père d’Ulrich, perfusé de partout, ressemblait fortement au sinistre baron Harkonnen du roman de Frank Herbert.
« Pick » s’approcha le cœur battant de celui qu’il avait toujours craint plus que tout au monde. Il éprouvait l’angoisse respectueuse et superstitieuse des serviteurs de ces despotes orientaux, Empereurs de Chine, Grand Timonier ou Petit Père des Peuples, toujours terrifiants même sur leur lit de mort.
Son père ouvrit soudain ses yeux bleu pâle noyés de rouge, donnant brusquement vie à son visage bouffi de graisse.
« Tu es là, espèce de vaurien, souffla le Direktor d’une voix aussi faible et râpeuse que celle du Parrain agonisant des films de Coppola. Ne me dis pas que tu es triste, je ne te croirai pas une seconde…
-Père, je…
-Ta gueule, crachota l’autre. Laisse-moi parler. Je sais que si je m’en sors, le Conseil me mettra d’office à la retraite. Comme prévu, tu me succèderas. Je sais que je n’ai pas été toujours très gentil avec toi, mais tu dois me croire…je crois que tu feras du bon travail…
Ulrich retint son souffle, très ému. C’était bien la première fois que son père lui faisait un tel compliment. Il lui avait fallu attendre la quarantaine, mais mieux vaut tard que jamais !
-Mais…je dois t’avertir… de ma dernière décision en tant que directeur de la sécurité…si je ne dois pas m’en tirer, il faudra que tu l’appliques, quoique tu en penses…c’est compris ?
-Oui…
-Oui, père !
-Heu, oui, père…De quoi s’agit-il ?
-De cette Sarah Estevez, la nouvelle chef de section que tu as embauchée…
« Pick » eut soudain la bouche totalement sèche, et sentit la sueur couler entre ses omoplates.
-Tu dois t’en débarrasser…dès demain…
-Mais…mais…pourquoi, père ? Elle a passé tous les tests avec succès, y compris le plus …enfin, le plus difficile. Je ne peux plus la virer, maintenant…
-Qui te parle de la licencier, crétin ? Je te parle…de la liquider…Une balle dans la tête, ou donne la à Von Hansel pour ses expériences…comme tu voudras, mais qu’elle disparaisse…
Ulrich fut pris de vertige. Il agrippa le support d’un goutte à goutte avec une telle force que ses jointures en blanchirent.
-Mais…pourquoi ? Je ne comprends pas…Qu’est-ce que tu lui reproches ?
-Plein de choses…j’ai vu l’effet qu’elle te fait, je ne suis pas aveugle…et il est hors de question que tu souilles notre sang avec cette métèque…et puis…elle n’est pas là par hasard…j’ai fait des recherches sur elle…il y a toutes les chances que son identité soit fausse, même si je n’ai pas trouvé la vraie…
Ulrich ne l’entendait plus qu’à travers un épais brouillard, fait de stupeur mais surtout de colère. De fait, son père était en train, sans le vouloir, de l’aider à accomplir ce pourquoi il était venu. Il lâcha soudain, d’une voix glacée qui ne semblait pas lui appartenir :
-Et surtout, elle n’a pas voulu coucher avec toi, mon cher père. Et je la comprends fort bien. Autant baiser avec Jabba le Hutt.
Le Direktor eut un hoquet de surprise qui fit trembler son quadruple menton et s’agiter les tuyaux qui le maintenaient en vie.
-Co…comment sais-tu…comment oses-tu ?
Ses yeux s’agrandirent comme des soucoupes en voyant une seringue apparaître dans la main droite de son fils. Ce dernier saisit l’un des tuyaux de perfusion et y planta son aiguille.
-Connais-tu, cher père, l’effet produit par une bulle d’air dans le réseau artériel ? Elle va tranquillement se loger dans ton cœur et y causer une thrombose. Vu l’état lamentable de ta carcasse graisseuse et alcoolique, cela paraîtra parfaitement naturel…Même en cas d’autopsie, on ne décèlera rien.
Le gros Direktor émit de vilains borborygmes en s’agitant sur sa couche comme un éléphant de mer essoufflé. Il tendit une main boudinée vers le bouton d’alarme, mais Ulrich devança son geste et mit l’objet hors de portée.
-Personne ne viendra, mein Vater. Je me suis débrouillé pour que personne ne traîne dans les parages. Auf wiedersehen…et mes amitiés à Satan !
Quand le bip d’alerte se fit entendre depuis le moniteur de contrôle cardiaque, Ulrich comprit qu’il avait enfin cessé d’être un petit garçon terrorisé par son papa.
*
« Que fait-on, Herr Direktor ? »
La question teintée d’inquiétude de Müller, son deuxième adjoint, tira Ulrich de ses souvenirs.
-Hum…Vous avez appelé le directeur général ?
-Je viens d’essayer. Herr Hansel ne répond pas. Il doit pourtant être dans son bureau. Nous devrions aller nous assurer de…
Ulrich Pickhardt fit un signe négatif :
-Inutile. Nos ennemis doivent être là-haut et ont dû s’emparer de lui. Nous allons devoir jouer serré pour les prendre de vitesse, sans les alerter prématurément.
-Et le groupe d’intervention commandé par Fraulein Estevez ?
-Certainement neutralisé par cette…cette traîtresse ! A coups de PREMS, certainement…Prévenez tous les chefs de section, qu’ils réveillent leurs hommes et les équipent, le plus silencieusement possible, et qu’ils prennent position autour de la grande place sans se montrer. Dites aux gardes des miradors de braquer leurs lunettes de vision nocturne sur le toit de ce bâtiment.
-Et leurs canons à rayonnement électromagnétique ?
-Seulement ceux des miradors Sud-ouest et Sud-est : il faut éviter un excès de tirs croisés qui se retourneraient contre nous. Qu’ils placent leurs canons en mode anti-personnel, et défense absolue de viser en-dessous du toit ! Il ne faudrait pas qu’on s’en prenne dans la gueule !
-Et les autres ?
-Les miradors Nord-ouest et Nord-est mettront leurs canons en mode anti-appareils, prêts à être pointés vers le ciel. L’engin de DCA de l’aérodrome doit être mis également en état d’alerte maximum. Il est évident que ces salopards vont être récupérés par hélicoptère dans très peu de temps, et nous allons leur préparer une belle réception ! Contactez immédiatement la base aérienne de Reconquista. Vous me passerez le général Tejero, qui commande la 3e brigade aérienne…C’est un vieil ami de notre petite communauté ! »
*
Laissant Sarah Estevez veiller sur le faux Lucas Zarkos, dont le processus de réveil touchait à son terme, Pujol et Terrasson suivirent Von Hansel jusqu’au module n°2, placé juste à côté de celui qu’ils venaient de visiter. Le vieux savant composa un autre code sur la porte à hublot qui donnait accès au gros cube, et les trois hommes pénétrèrent à l’intérieur.
Le capitaine Terrasson et son camarade furent stupéfaits de ce qu’ils y découvrirent.
L’impression générale était la même que dans le mini-labo précédent, un enchevêtrement complexe d’armoires, d’appareils électroniques, de tuyaux et de câbles, avec assez peu de place pour se faufiler parmi tout ça. Mais l’œil ne pouvait manquer deux choses : d’abord une sorte de grand sarcophage bleu dressé à la verticale contre le mur du fond, apparemment constitué de fibre de carbone et doté d’un clavier à hauteur de poitrine. Ensuite, et surtout, une longue étagère aux portes vitrées, éclairée de l’intérieur. Elle abritait une effrayante collection de têtes humaines plantées sur des supports en plastique, avec une paire de mains posées à côté de chacune d’elles, coupées net à la moitié de l’avant bras. Le lieutenant Pujol laissa échapper un cri de dégoût :
« Quelle saloperie ! Vous collectionnez les crânes, en plus ? Ça ne m’étonne pas de vous, vieux fumier !
Il expédia une méchante bourrade à Von Hansel, qui se récria :
-Nooon, nooon ! Vous vous mé-pre-nez ! Allez voir de plus près, au lieu de me mal-trai-ter !
Le capitaine Terrasson s’approcha de l’étagère, sourcils froncés, et s’efforça de lire les petites étiquettes qui ornaient chaque support. Il commenta à voix haute, autant pour lui-même et Pujol que pour ses chefs qui suivaient tout grâce à la caméra du casque :
« Ce ne sont pas de vraies têtes, ni de vraies mains ! Des postiches et des masques…Extraordinairement réalistes ! Il y a des noms sur des étiquettes…là, ça me dit quelque chose…François Delair…
-Le moniteur de parachutisme dont Fantômarx a usurpé l’identité il y a quatre mois, pour tuer Florence Parigot, fit la voix de Labrousse dans ses écouteurs.
-Et là…celui-ci, vous lisez comme moi ?
-Ouais…l’employé de Christophe Rodi, pour l’affaire de la Garde des Sceaux. Regardez si les deux journalistes y sont…
Terrasson prit quelques instants, mais répondit par la négative :
-Non, chef…il y a pas mal de monde, mais personne d’autre qui nous intéresse.
-C’est logique ; d’ailleurs, ces deux pisse-copies ont été examinés sous toutes les coutures à l’hôpital. S’ils avaient porté des masques, on aurait fini par s’en apercevoir. Demandez au prisonnier de quoi il retourne !
Von Hansel répondit volontiers à la question :
-Hé-hééé, pas mal, hein, mes masques et mes fausses mains ? Ils sont faits dans une matière synthétique imitant à la perfection la peau humaine. Pour les voix, une puce électronique implantée au niveau du larynx permet une très acceptable contrefaçon, si l’on fait abstraction d’une tonalité légèrement métallique. J’ai mis au point ce procédé à la suite d’une demande la CIA, pour leur département « Mission Impossible ». Depuis, je ne manque pas de clients venus de tous les ho-ri-zons ! Mais je n’expose ici que les prototypes les plus ré-cents…
-Et pour ceux-ci ? insista Terrasson en désignant les deux masques qui intéressaient les Français. C’est une commande de qui ?
-Ho-hôôô ! Faut-il vraiment vous le dire ?
Pujol leva une main menaçante :
-A ton avis, vieux bouc ?
-Bien, bien, grinça Von Hansel en baissant craintivement la tête. Je vais tout vous dire, tout vous dire ! Ce sont les mêmes que ceux qui m’ont commandé ça…
Il pointa un doigt noueux vers le sarcophage bleu.
« …ma plus belle réalisation dans ce domaine, pour la World Biotech Corporation !
-Mais qu’est-ce qu’il y a dans ce machin ? s’impatienta Terrasson
-Faites-le lui ouvrir, et magnez-vous ! cria Labrousse. Le satellite nous transmet une agitation anormale dans certains coins de la Colonia. Des petits groupes se faufilent le long des rues en se dirigeant vers l’arsenal. Ça sent le roussi. Nous faisons décoller le groupe « Hop » pour venir vous récupérer. »
*
Au PC sécurité, Ulrich Pickhardt avait rejoint son meilleur informaticien devant son pupitre.
« Vous avez pu remettre la caméra du toit en fonction normale, Ramirez ?
-Pas évident, Herr Direktor…J’ai dû faire sauter une sorte de pare-feu. Celui qui a fait ça…
-Celle qui a fait ça, corrigea sèchement « Pick ». Vous devez être informé, comme tout le monde ici… » Il leva la tête et lança à la cantonade :
-Tout le monde doit savoir que Fraulein Estevez nous a trahis ! »
*
Un bip strident alerta la jolie brune, qui décrocha un petit boîtier noir de sa ceinture, une sorte de téléphone portable d’un genre un peu spécial. Sa première fonction était de l’avertir dès que le pare-feu qu’elle avait installé sur le fichier de surveillance vidéo de l’ordinateur central serait attaqué. Apparemment, son astucieux montage avait été découvert, et l’on était en train de remettre en service la caméra neutralisée.
Sarah eut un vilain frisson. L’attaque ennemie était imminente. Elle devait sans tarder utiliser la deuxième fonction de son boîtier. Une petite surprise qu’elle réservait à son cher « Pick ». A condition bien sûr que son bidule marche comme prévu ! Elle regarda le moniteur de contrôle de l’appareil de lavage de cerveau :
Arrêt sécurisé du processus dans 40 secondes, 39 secondes, 38 secondes…
C’était horriblement long. Le pauvre sosie ne bougeait plus sur son fauteuil de torture, comme assommé, le visage luisant d’une sueur grasse. Il allait falloir lui retirer son harnachement, et sans doute le porter jusque là-haut, tout en se coltinant le vieux hibou…Ils n’étaient pas sortis de l’auberge !
*
Johann Von Hansel pianota sur le clavier du sarcophage, avant de se reculer d’un mouvement vif tandis que le couvercle s’ouvrait lentement. Les yeux écarquillés, les deux commandos virent apparaître une grande silhouette sinistrement familière, sur le fond gris d’une coque épousant la forme de son corps.
Un costume élégant gris anthracite, et une chemise col Mao d’un gris plus clair. Des mains gantées de noir. Un masque rouge frappé d’une petite étoile dorée au milieu du front. Et enfin, lorsque les paupières s’ouvrirent, un regard d’un bleu acier qui les transperça aussi sûrement qu’un poignard.
« Messieurs, déclara pompeusement Von Hansel, je vous présente la créature qui fait trembler la France, et bientôt le Monde : Fantômarx !
Puis, s’adressant directement au redoutable personnage, sur le ton du maître à son esclave :
-Fantômarx, révèle à ces messieurs quelle est ta vraie nature !
La chose répondit de sa célèbre voix métallique :
-Je suis un cyborg, avec un squelette en alliage de titanium irridié et des organes biomécaniques reproduisant les tissus vivants. Ma programmation me permet une grande variété de tâches, et inclut un logiciel de personnalité. Celui-ci m’incite d’ores et déjà à vous haïr au plus haut point !
Pujol lâcha un petit sifflement :
-Et il a de l’humour, le robot ! Bon, ben nous voilà fixés…on s’arrache, capitaine ?
-Oui ! approuva vigoureusement Labrousse dans les écouteurs de Terrasson. Nos radars signalent une patrouille de trois avions argentins venant de décoller de la base de Reconquista, et se dirigeant vers la Colonia. Nos hélicos auront tout juste le temps de vous embarquer et de retraverser la frontière avant que ces avions soient sur zone. Il s’agit d’appareils d’attaque de type « Pucara », et ça m’étonnerait qu’ils viennent là pour rigoler !
Le lieutenant Pujol saisit Von Hansel par le col de sa blouse :
-Fini la visite, vieux bouc, on t’emmène faire un tour !
-Compte là-dessus, crétin ! piailla le maître de la Colonia en lui décochant un brusque coup de coude en pleine face.
Surpris, le nez en sang, Pujol lâcha son prisonnier en hurlant de douleur. Von Hansel plongea sous un plateau roulant chargé de fioles et d’instruments de précision en s’écriant :
« Fantômarx, ATTAQUE ! Tue-les, tue-les ! Ouiii ! Tuuue-les ! »
*
Sarah Estevez était en train de détacher le pseudo-président de son siège quand elle fut alertée par les cris stridents du maître de la Colonia. Elle abandonna le faux Lucas Zarkos pour se précipiter hors du module n°1. De violents bruits de lutte provenaient du cube voisin, et la jeune femme s’y précipita avant de tomber en arrêt à deux mètres du but.
Le corps du lieutenant Pujol fut projeté par la porte du module restée ouverte et alla s’écraser contre le mur d’en face, avant de retomber sur le carrelage comme une poupée désarticulée. Sarah étouffa un cri d’horreur, mais n’eut pas le temps de s’attendrir : Von Hansel lui-même venait de surgir du mini-labo à la vitesse d’un V1, et galopait de toute la force de ses jambes maigrelettes vers la double porte menant au sas et à l’ascenseur.
Le belle brune dégaina son PREMS et ajusta le bonhomme dans le minuscule écran de son viseur. L’arme émit un très léger sifflement, et Von Hansel s’effondra au moment même où il allait ouvrir la porte. Houba Leader ? Qu’était devenu Houba Leader ? Ce nom de code ridicule ne la faisait plus rire du tout. Sarah fit un pas vers l’entrée du module 2, l’arme prête à tirer, quand une grande silhouette franchit la porte blindée et lui barra le passage.
Elle avait déjà vu Fantômarx sur pas mal d’écrans, mais lui faire face était autrement plus effroyable. La jeune femme tira sans vraiment viser, presque à bout portant, mais cela ne fit qu’arracher un sourire ironique au terrible masque rouge :
« Je crois savoir que cette arme n’est dangereuse que pour des créatures totalement organiques, dit-il de sa voix au timbre si particulier. Elle vous sera donc totalement inutile contre moi. Par contre, elle m’aura permis de vous ranger dans la catégorie des éléments hostiles. Vous êtes charmante, mademoiselle Estevez, mais je dois à présent vous tuer ! »
Il balança son poing comme une masse d’arme, mais Sarah l’évita prestement et prit la fuite. Elle courut jusqu’à la porte qu’ils avaient franchie pour entrer dans le grand laboratoire, mais le panneau s’était automatiquement refermé, et elle ne disposait pas du code pour l’ouvrir. Derrière elle, les pas décidés du cyborg résonnaient sur le carrelage.
« Vous êtes prise au piège, ma chère mademoiselle Estevez. Seul mon maître avait le pouvoir de vous faire sortir d’ici. Il est donc totalement vain de galoper comme vous le faites. Laissez-vous faire, et je vous promets que ce sera rapide et presque sans douleur…je ne suis pas programmé pour aimer faire souffrir ! »
La jolie brune lâcha malgré elle un glapissement de terreur et bondit dans l’allée séparant les deux rangées de modules cubiques, échappant de justesse aux bras meurtriers du cyborg au masque rouge, dont l’étoile d’or semblait clignoter à la lumière des néons. Elle courut jusqu’au dernier module, et elle chercha frénétiquement à actionner son épaisse porte blindée. Il fallait certainement un code, c’était foutu ! Miraculeusement, le panneau céda à sa poussée et elle s’engouffra à l’intérieur avant de le refermer derrière elle et de faire claquer un énorme verrou d’acier.
Le visage effrayant de Fantômarx apparut derrière le hublot, fouillant le réduit obscur de son impitoyable regard bleu.
« Bien joué, mademoiselle Estevez. Je ne suis pas Terminator, et je ne défoncerai donc pas cette porte aussi solide que celle d’un bunker nazi. Je me contenterai donc de vous y tenir enfermée. Sachez néanmoins que l’alimentation en air de ce local étanche passe par un gros tuyau que je vois d’ici…il suffira donc que je le coupe pour que vous périssiez asphyxiée dans, disons, une petite demi-heure tout au plus…Désolé pour vous, mademoiselle Estevez, j’aurais aimé mieux vous connaître. »
Le cœur battant, Sarah s’adossa à une paroi du cube, cherchant vainement une issue quelconque. Mais il n’y en avait aucune, dans ce mini-labo qui ressemblait à une salle d’opération, avec sa grande table à roulettes et ce corps recouvert d’un drap vert bouteille. Un corps ? Le cœur de Sarah s’arrêta soudain, et elle oublia son sort pendant quelques secondes.
Et si c’était… ? Non, impossible…Cela faisait trop longtemps qu’il…Les larmes vinrent s’ajouter à la transpiration qui trempait son visage.
Sarah trouva un interrupteur, et l’éclairage de la table d’opération illumina la pièce. Elle remarqua les chaussures noires à talonnettes impeccablement cirées et les chaussettes blanches qui dépassaient du tissu vert. C’était assez absurde, mais cela lui disait quelque chose. Qu’est-ce que ce vieux fou de Von Hansel avait encore pu inventer ?
Le jeune femme s’avança prudemment, et tendit une main tremblante vers le coin supérieur du drap, près de la tête du corps étendu. Il y eut un frôlement qui la fit sursauter, et elle poussa un petit cri de frayeur lorsque qu’une main et un avant-bras fluet, d’un rose tirant sur le gris, glissèrent de sous le tissu, pour retomber mollement dans le vide.
« J’ai dû faire bouger un truc ! » se dit-elle pour se rassurer. « Ce type…cette chose doit être…Morte. » Elle ne percevait en tout cas aucune respiration en-dehors de la sienne. Le sang battait follement à ses tempes quand Sarah saisit enfin le coin du drap et se mit à le soulever, prête à faire un bond en arrière à la moindre alerte.
Un affreux visage de zombi, de la même teinte rose maladive que le bras, encadré par une épaisse chevelure noire qui n’avait rien de naturel, se révéla à ses yeux épouvantés. Les joues étaient creuses et les pommettes exagérément saillantes. Le nez en trompette semblait avoir été fait pour illustrer un article sur les ravages de la chirurgie esthétique. La chose était hideuse, mais il devait y avoir peu d’humains sur cette planète qui n’auraient pu la reconnaître.
« Ce n’est pas possible ! Il ne peut pas être là…il…il est mort ! »
Les paupières blêmes de la créature s’ouvrirent soudain, et des yeux immenses, noirs et humides comme ceux d’un animal fixèrent la jeune femme. Sarah hurla et fit un pas un arrière quand la chose se redressa d’un coup sur son séant en criant :
« Hiiiii-hi ! »
Elle portait une chemise blanche aux manches retroussées, largement ouverte sur son maigre torse rose, et promenait un regard craintif sur ce qui l’entourait :
« Hou ! glapit la créature, avant de demander en anglais, d’une petite voix plaintive, celle d’un enfant qui n’aurait pas voulu grandir :
-C’est déjà l’heure du concert ? »
Sarah Estevez crut qu’elle allait tourner de l’œil. Jackson Mitchell, « l’Empereur du Funk », que des millions de fans avaient pleuré quelques semaines plus tôt, venait de ressusciter !
A suivre dans : « Thriller Night. »
lundi 10 août 2009
Chapitre 15 : Von Hansel, Génie du Mal.
Erratum : les chasseurs d’escorte brésiliens mentionnés dans l’épisode précédent ne peuvent être des F-15 : la « Força aérea brasileira » n’en est pas dotée (du moins d’après mes derniers renseignements). Ils sont donc remplacés par souci de vraisemblance par de magnifiques Mirage 2000, vendus par notre beau pays…cocorico !
Pujol et Terrasson se précipitèrent dans l’embrasure de la porte dès que celle-ci fut suffisamment ouverte, laissant à Sarah le soin de la refermer derrière eux. Ils se trouvaient dans une sorte de salon d’attente confortablement et élégamment meublé, avec une porte sur leur droite donnant sur un secrétariat évidemment désert à cette heure-ci.
Ils bousculèrent le petit homme maigre qui venait de leur livrer passage, et l’immobilisèrent sans peine par ses deux bras grêles. Les deux militaires français reconnurent aussitôt l’individu qui leur avait été montré en photo lors du briefing.
Johann Von Hansel portait la même blouse grise d’une propreté douteuse, avec quelques crayons et un stylo quatre couleurs dépassant de sa poche de poitrine. Le génie du Mal tenait aurait paru plus à sa place dans une épicerie de quartier, ou dans une salle de classe de la IVe République. Son bouc et ses rares cheveux se hérissaient de fureur :
« Hôôô ! C’est inad-mis-sible ! s’écria-t-il en allemand. Lâchez-moi, lâchez-moi, vilains gar-ne-ments !
Son élocution était vraiment très bizarre, avec une façon de traîner sur les mots ou d’en scander les syllabes. Quant à la voix, elle était aussi éraillée que dans l’interphone. Ses yeux noirs roulaient sans cesse dans leurs orbites à la façon des oiseaux.
« Vous êtes notre prisonnier, Herr Doktor, dit Sarah Estevez en braquant sur lui son pistolet à Rayonnement électromagnétique. Inutile de vous égosiller, vous savez comme moi que ces locaux sont parfaitement insonorisés, et qu’il n’y a ni micros ni caméras ici…
-Hôôô ! Comment o-sez vous, Fraulein Estevez ? C’est une tra-hi-son ! Et qui sont ces gre-dins ?
-Nous venons chercher le Président Zarkos, continua la jeune femme. Nous savons qu’il est ici, dans votre laboratoire. Vous allez immédiatement nous y conduire !
-Nie-mals, nie-mals ! Ja-mais, ja-mais ! Vous pouvez vous faire voir chez les Gua-ra-nis !
Puis, se rengorgeant avec fierté, barbiche frémissante en avant :
-Vous pouvez me tuer, vous ne sortirez pas vivants d’iii-ci ! Ho-hooo…Et si vous m’assommez, je ne vous serai plus d’aucune uti-li-té ! Hé-hééé !
-Giflez-le, ordonna Sarah à ses compagnons.
-Avec plaisir, mam’zelle, répliqua Pujol avant d’envoyer une grande claque derrière la tête de Von Hansel.
Celui-ci perdit instantanément toute dignité :
-Nooon, nooon ! Pi-tié, pi-tié ! Je ferai tout ce que vous vou-lez !
Quelle mauviette, songea Terrasson, qui tenait toujours d’une main son casque de commando. Sa seule main droite suffisait largement, avec l’aide de Pujol, à maîtriser ce vieux bouc bâti comme un ticket de métro. Mais une telle veulerie en était franchement suspecte, et le capitaine craignait un coup fourré.
Guidés par un Von Hansel tremblant comme une feuille, et qu’ils poussaient devant eux sans ménagement en le tenant par le col de sa blouse, les deux commandos et leur belle alliée traversèrent le secrétariat, pour entrer dans le vaste bureau du maître des lieux. La pièce était éclairée par un grand lustre en cristal aux formes végétales et une série de spots disposés un peu partout, dans une atmosphère rendue très fraîche, voire glaciale, par un système de climatisation peu bruyant, mais qui devait tourner à fond. Johann Von Hansel ne semblait pas adepte des économies d’énergie.
Des tapis d’orient recouvraient le sol, et une immense baie vitrée orientée au nord occupait presque toute la surface du mur du fond. On devinait deux portes de chaque côté de la salle, se faisant face de part et d’autre de la baie. Le regard était immanquablement attiré par deux imposantes décorations ornant les murs lambrissés. Sur leur droite, face au grand bureau de Von Hansel, s’étalait une grande fresque peinte dans un style mêlant le Douanier Rousseau (pour le décor de jungle et les oiseaux tropicaux) et Botéro pour les rondeurs volumineuses des femmes nues qui y dansaient. Sur leur gauche, derrière le bureau lui-même, une galerie de portraits d’un genre réaliste révélait les références du maître de la Colonia : Léonard de Vinci, Thomas Edison, Werner Von Braun (père des fusées allemandes V2 et du programme Apollo), et enfin Helmut Von Hansel, le père de Johann, représenté en blouse blanche et barbe grise. Il régnait dans ces lieux une impression de laisser-aller : miettes de biscuits par terre, poussière sur les meubles et papiers traînant partout, au point d’engloutir la grande table de travail en acajou qui occupait une partie de la surface. Il y avait même des chiures d’oiseau et du duvet bleu, dont l’origine apparut bien vite sous la forme d’un perroquet jaillissant d’une étagère en faisant chuter deux livres anciens.
Sarah reconnut un magnifique ara bleu « hyacinthe », lequel se mit à voleter à travers la pièce en poussant des cris perçants mêlant l’allemand et l’espagnol :
« Achtung ! Achtung ! Intrusos ! Intrusos ! Eintritt prohibido ! »
La bestiole tenta même de donner des coups de bec à Terrasson, comme pour l’obliger à lâcher son maître. Sarah profita d’un éloignement passager du volatile pour l’assommer d’une décharge de son PREMS, ce qui arracha un hurlement d’horreur à Johann Von Hansel :
« Nein, Neeein ! Mi-sé-rable ! Vous avez tué Hein-rich ! Mein liebchen Papagei !
-Ta gueule, vieux bouc ! Il n’est qu’évanoui, c’est la dose minimum !
-Pour un humain, peut-être, mais on a jamais testé cela sur un per-ro-quet ! Je l’ai toujours strictement dé-fen-du ! Hôôô ! Mein Papagei !
Il ramassa d’une main tremblante l’oiseau inanimé et se mit à le bercer tendrement, les larmes aux yeux :
-Heinrich, mon petit Heinrich ! Mon con-fi-dent, toi qui m’inspirait tant par ton chant mélo-di-eux !
Pujol regarda son chef en se tapotant la tempe. Terrasson opina :
-Complètement timbré, ouais, notre génie du Mal !
Von Hansel en tressaillit d’indignation :
-Timbré, moi ! cria-t-il en français. Vous ne manquez pas de cu-lot !
-Parce qu’il parle français, en plus ? s’étonna Terrasson.
-Ouiii, ouiii, fit Von Hansel. Ma maman était française, et ma femme aus-si ! J’adore la France, et si je pouvais, je m’y installe-rais…hé-hééé !
Sarah s’impatientait :
-Trêve de plaisanterie, vieux hibou, dis-nous où est Zarkos, et pronto !
-Ouiii, ouiii, tout de suite, tout de suite, je vais vous montrer, ouiiii…
Avec des mines cauteleuses, Von Hansel déposa délicatement son ara sur un fauteuil en cuir lacéré par les précédentes fantaisies du charmant petit animal, puis trottina jusqu’à la porte en bois sans poignée située à droite de la baie vitrée. Il ouvrit un petit volet dans la paroi et présenta son œil devant une caméra à reconnaissance optique. Une voix féminine de synthèse se fit entendre en allemand :
« Indentification optique validée. Demande mot de passe pour identification vocale…
-Ho-hôôô ! fit Von Hansel en imitant parfaitement le cri d’un ara.
-Mot de passe validé…ouverture accordée… »
La porte coulissa dans le mur, révélant son incroyable épaisseur faite de blindage et d’une couche de bois de teck. Le maître de la Colonia leur fit signe d’entrer :
-Vous allez dans un instant découvrir l’étendue de mon gé-nie, héhéhééé !
Ce ricanement, digne du rusé Papé interprété par Yves Montand dans Jean de Florette, ne disait rien qui vaille au capitaine Terrasson.
« Il va nous faire une crasse, ça fait pas un pli ! »
-Après toi, vieux bouc, grogna-t-il en le poussant sans ménagement dans l’ouverture.
*
Ulrich Pickahrdt, alias « Pick », s’était penché sur le moniteur indiqué par le technicien. Les inscriptions en bas de l’écran lui indiquaient qu’il s’agissait des images de la caméra chargée de couvrir le toit de l’immeuble. La retransmission en infrarouge montrait les sentinelles déambulant tranquillement sur l’esplanade, leur M16 en bandoulière.
« Qu’est-ce qu’il y a de bizarre là-dedans ? grommela le directeur de la Sécurité.
-Apparemment, rien, mais quelque chose a attiré mon attention…vous voyez ces grandes lumières, là-bas au fond ?
-Oui, et alors ? Ce sont les lampadaires du stade, c’est normal qu’on les voie d’ici.
-Sans doute, mais cela fait deux jours que les entraînements nocturnes sont suspendus. J’ai vérifié à l’instant par les fenêtres des bureaux de la façade ouest. Ils sont éteints dehors, et allumés sur l’écran.
Ulrich tressaillit, et se précipita dans la salle adjacente pour faire la même constatation que son subordonné, puis revint en courant vers celui-ci, qui l’attendait, anxieux, à son poste. Tout le monde avait les yeux fixés sur lui.
« On nous envoie des images bidon, sans doute vieilles d’au moins une semaine, mais avec des fausses données d’accompagnement.
-Sûrement, Herr Direktor. Je viens de faire une analyse fréquentielle des images, et c’est la même vidéo qui repasse en boucle. Pour trafiquer ça, il faut avoir accès à l’archivage des données de l’ordinateur central.
« Pick » savait ce que cela impliquait : seuls trois personnes disposaient d’un code d’accès à ces archives et pouvaient les déverrouiller : Johann Von Hansel, lui-même…et Sarah Estevez. Il sentit son rythme cardiaque s’accélérer. D’une main moite, il empoigna son talkie et appela le chef de patrouille qui montait la garde sur le toit :
« Sergent Dorff ? Ici le directeur…Est-ce que tout va bien ? Répondez ?
Il y eut une série de crachotements pénibles, puis une voix inconnue lui répondit en espagnol :
-Heu…le sergent est allé…heu… aux toilettes…
-Qui est là ? Qui parle ?
-C’est Jimenez…y a un problème, heu…Señor Direktor ?
-Non, simple vérification…bonne garde ! »
Ulrich éteignit son talkie, hésitant sur la marche à suivre. Il y avait bien là-haut un gars nommé Jimenez, mais d’éventuels assaillants auraient pu sans peine lire son nom sur le badge d’identité. Qu’il ne reconnaisse pas la voix de Jimenez n’était pas en soi un indice déterminant, cela pouvait arriver, surtout avec la qualité très moyenne de transmission de ces vieux appareils VHF. Par contre, tout habitant de la Colonia, et a fortiori les membres de la Sécurité, devait savoir que l’on utilisait ici les appellations allemandes pour les hauts gradés. Par exemple, toujours Herr Direktor, et non Señor…Restait à confirmer l’identité du traître qui avait permis cette manipulation.
« Pick » courut jusqu’à son bureau et tapa son code d’accès à l’ordinateur central, pour accéder au fichier d’archivage des données vidéos et en consulter l’historique. Il lui suffisait de composer un autre code pour connaître les derniers utilisateurs des données, notamment ceux ayant consulté les enregistrements de la caméra de surveillance du toit. Johann Von Hansel et lui-même n’y avaient jamais touché, et un seul nom de personne autorisée apparut à l’écran :
Estevez, Sarah.
Directrice adjointe à la Sécurité.
La manipulation datait de la veille.
Les yeux d’Ulrich Pickahrdt s’étrécirent jusqu’à n’être plus que deux fentes.
« La salope ! »
*
Le laboratoire de Johann Von Hansel était une vaste salle sans fenêtre, aux murs blancs et au sol carrelé. Les rampes de néon accrochées au plafond inondaient les lieux d’une lumière crue. Sarah et ses compagnons découvrirent six gros cubes gris d’environ trois mètres de côté, disposés en deux rangées de trois, garnis d’une porte à hublot et de divers appareils protubérants. Des chariots à roulettes chargées d’instruments, de flacons et de divers objets étaient rangés entre chaque cube.
« Ce sont mes petits laboratoires per-son-nels, expliqua le savant avec une fierté non dissimulée. Chacun d’eux abrite une expérience en cours, ou une réalisation ré-cente ! Toutes sont placées sous le sceau du se-cret !
-OK, merci, mais montre-nous vite où tu as mis Zarkos, dit Terrasson, qui avait remis son casque afin de pouvoir transmettre tout ce qu’ils allaient voir et entendre à leurs chefs. Et pas d’entourloupe, j’ai les moyens de vérifier !
Il montra à Von Hansel le détecteur de balise accroché à son poignet droit. L’engin clignotait toujours, et indiquait au mètre près la distance qui les séparait encore de l’objectif. Moins de dix mètres. Au passage, le capitaine avisa une autre issue de l’autre côté de la pièce, sous la forme d’une double porte coulissante. Celle-ci devait mener au sas et à l’ascenseur dont Sarah leur avait parlé. C’était par là que Lucas Zarkos, ou plutôt sa doublure, avait été amené à Von Hansel après avoir été débarqué de l’hélicoptère.
« Au fait, demanda Terrasson à Sarah, y avait-il un couple dans l’hélico qui amené notre bonhomme ? Un grand brun et une jolie blonde ?
-Pas à ma connaissance, mais demandez au vieux bouc… »
Von Hansel sursauta d’indignation :
« Hôôôô ! J’en assez de votre ir-respect !
-Ta gueule, vieux schnock, et réponds à la question, rugit Pujol en secouant le Doktor.
-Nooon, nooon, geignit Von Hansel. Je ne les ai pas vus, paaas vus…hôô ! Ils ont dû être déposés au cours d’une es-cale…
-C’est bon, on y est, les interrompit le capitaine.
Ils étaient arrivés devant un cube situé à l’angle nord-ouest de la salle, et le détecteur bipait frénétiquement.
-Ouiii, confirma Von Hansel de sa voix éraillée. C’est bien là ! Puis-je ouvrir, messieurs, mmh ?
-On allait t’en prier, mais fais gaffe à toi si tu cherches à nous embrouiller.
Le maître de la Colonia tapota un digicode avant d’ouvrir la porte à hublot. Ils pénétrèrent ensuite un par un dans le petit laboratoire, encombré par une masse d’appareils électroniques auxquels ils ne comprenaient rien. Mais toute leur attention fut aussitôt accaparée par le spectacle d’un « Lucas Zarkos » attaché sur une sorte de fauteuil de dentiste par des sangles en caoutchouc étroitement serrées. Un casque métallique paraissait vissé sur son crâne, relié à un gros ordinateur vrombissant par des fils électriques. Le sosie du président était vêtu d’un pyjama vert et d’une paire de sandales en plastique. Son corps frémissait de temps à autre, tandis que son visage aux paupières closes se contractait en une parodie des tics les plus célèbres du président français.
« Qu’est-ce que vous êtes en train de lui faire, espèce de salopard ? gronda Pujol en secouant une fois de plus leur prisonnier.
-Hô-hôô…rien de plus qu’un bon petit lavage de cer-veau ! Votre prétendu président arrive au terme de son condi-tionne-ment ! Quand ce sera fini, il ne se souviendra plus de rien…
-Conditionné pour faire quoi ?
-Pour obéir aveuglément aux ordres qu’une personne bien précise lui donne-ra, précédés d’un mooot clé. J’ai largement perfectionné une technique sur laquelle les services secrets américains et russes fantasment et bricolent depuis des décen-nies !
Visiblement très fier de lui, Von Hansel se rengorgeait comme un paon.
« Votre président ne sera plus qu’une marionnette entre les mains de son maître, et fera de votre pays ce que nous voulons qu’il soit, ho-hôôô !
-Mais pourquoi tous ces efforts, si vous savez qu’il ne s’agit pas du vrai président ? demanda Terrasson.
-Parce que c’est celui-ci qui dirigera le pays lorsque vous l’aurez récu-pé-ré…Le vrai président, à l’heure actuelle, doit être froid comme la mort ! Comme la mort, ouiiii !
Les deux Français échangèrent un regard inquiet.
-Et comment devions-nous le retrouver, ce pauvre type ? interrogea Pujol.
-Nous avions prévu de le livrer à un petit groupe de faux terroristes d’extrême-gauche, en territoire para-gua-yen, qui aurait ensuite revendiqué son enlèvement et réclamé une rançon astro-no-mique. Grâce à sa balise, vous ou les Brésiliens n’auriez pas manqué de le loca-li-ser, puis de le li-bé-rer…Et ainsi ramené en France ce véritable cheval de Troie ! C’est tout simplement dia-bo-lique, héhéhé !
-Mais qui est l’homme qui doit, ou qui devait manipuler notre pseudo-président ? insista Terrasson.
Von Hansel afficha une moue dédaigneuse, toute barbiche dehors :
-Je ne vous le di-rai pas, hô-hôô…
-Giflez-le, suggéra Sarah, nous n’avons pas de temps à perdre…
Une claque retentissante suffit une fois de plus à désintégrer la fierté de Von Hansel :
-Nooon ! gémit-il, noooon, pi-tié, pi-tié ! Je vais tout vous dire, tout vous dire… »
Et il leur donna le nom du traître introduit au plus haut sommet de l’Etat.
Les deux Français en restèrent abasourdis.
-C’est pas possible, soupira Terrasson, qui regretta brusquement d’avoir remis son casque en fonction.
Parmi ceux qui devaient être à l’écoute se trouvait l’homme que Von Hansel venait de dénoncer. Et s’il y avait d’autres brebis galeuses ?
-Là, on est vraiment dans la merde, renchérit sombrement Pujol. Mais…et Fantômarx, là-dedans ? Quels sont vos liens ? Est-ce que c’est celui que tu viens de nous… »
Le maître de la Colonia éclata d’un rire strident :
« Lui ? Fantômarx ? Nooon, nooon, héhéhéhé ! Si vous voulez voir Fantômarx, je peux vous le pré-sen-ter ! Il est tout près d’i-ci, tout près, ouiii ! »