jeudi 30 juillet 2009

Chapitre 13 : Le GASP saute sur Iguaçu.

Remerciements : A Maxime Chattam et à « Google map » (images satellite).

Le 26 décembre à deux heures du matin, l’Airbus A 330 de la TAM Airlines à destination de Montevideo put enfin décoller de l’aéroport de Foz de Iguaçu. L’appareil, venant de Brasilia, avait dû atterrir un peu avant 23 heures, « pour des raisons techniques », sur cet aéroport régional qui s’était avéré être le plus à même de le recevoir. Les passagers n’avaient guère apprécié ce contretemps, partagés entre l’agacement qu’éprouve toute personne mise en retard et la crainte de figurer sur la liste des prochaines victimes d’un crash aérien.

Ils auraient été à la fois soulagés et furieux d’apprendre le vrai motif de ce déroutage (ou déroutement, on peut dire les deux, z’avez qu’à vérifier). Leur avion n’était en fait qu’une couverture destinée à camoufler l’une des actions les plus audacieuses des services secrets brésiliens et de leurs alliés français. L’Airbus A 330, bien qu’aux couleurs de la TAM et ressemblant en tout point à un authentique appareil commercial, appartenait en fait aux forces spéciales brésiliennes, qui s’en servait pour l’entraînement de ses commandos anti-terroristes dans l’art de mettre hors de d’état de nuire d’éventuels pirates de l’air. La seule caractéristique qui différenciait cet avion des autres de la même série résidait dans l’aménagement de sa soute arrière.

Une dizaine d’hommes s’y trouvaient entassés, dans un local assez réduit séparé du reste de l’appareil par une cloison blindée et une porte à digicode. Le seul autre moyen d’en sortir ou d’y entrer était à chercher sur le plancher métallique : une trappe d’un mètre sur deux à commande électrique ou manuelle. C’était d’ailleurs par là que six d’entre eux, les hommes sélectionnés pour sauter sur la Colonia Alemana, avaient été discrètement introduits, déguisés en employés du service de maintenance de l’aéroport. Ils étaient arrivés à peine trois heures auparavant de Rio à bord d’un Falcon 2000 DX, habillés en hommes d’affaires, s’étaient changés une première fois dans un minibus aux vitres teintés pour revêtir leurs combinaisons de techniciens, pour enfin enfiler leur tenue de combat dans la soute blindée de l’Airbus juste avant le décollage.

L’équipage de l’avion, entièrement composé d’agents des Serviços secretos, était informé de leur présence sans en savoir davantage sur l’objet de leur mission. Seuls les malheureux passagers restaient dans l’ignorance la plus totale de la comédie qui se jouait sous leurs pieds.

Les concepteurs de l’opération « Houba hop » avait imaginé ce plan tarabiscoté pour déjouer au maximum les éventuelles mesures d’alerte des hommes de la Colonia ou de leurs complices, qui devaient grouiller dans la région. C’était pour cela que l’on avait vite laissé tomber un projet d’attaque mené depuis le sol, d’autant plus que la jungle entourant l’objectif avait la réputation d’être aussi peu praticable que dangereuse. Des rumeurs de créatures monstrueuses, issues de manipulations génétiques des Von Hansel, père et fils, rôdant dans la forêt, étaient en effet parvenues aux oreilles des services du colonel Fernandes.

« Heu, évidemment, avait-il ajouté avec un rien d’embarras, il y a tout lieu de croire qu’il ne s’agit que de contes de bonnes femmes, comme ces histoires de Chupacabras, dont on parle au Mexique ou à Porto Rico, mais nous ne tenons pas à multiplier les risques…Quant à la route, il n’y a que la 101, puis la piste qui mène à la Colonia elle-même. Trop facile à contrôler et à couper. Le site étant par ailleurs bien défendu, il ne reste que la voie des airs. Les hélicos sont trop peu discrets pour une approche, et nos ennemis disposent d’un radar performant qui équipe leur aérodrome privé. Donc… »

Donc la seule option raisonnable était celle retenue : parachuter un petit commando directement au cœur de la cible. L’utilisation d’un vol régulier était également la meilleure façon de berner la vigilance des gars préposés à la surveillance de l’espace aérien de la Colonia. Quant à l’heure de l’intervention, elle se justifiait autant par la météo (Plafond nuageux cachant la lune en altitude, vent faible ou nul) que par l’impératif de frapper au moment où la vigilance des gardes de la Colonia devait être plus réduite. L’opération « Houba hop », un nom grotesque inspiré des exploits du célèbre Marsupilami, se décomposait en deux temps :

-« Houba ! » : le commando parachuté saute sur le bâtiment où est détenu le Président, toujours repérable grâce à sa balise. Il libère le prisonnier et sécurise sa position en détruisant tout ce qui bouge.

-« Hop ! » : une deuxième équipe, composée de troupes d’élite franco-brésiliennes, vient les récupérer par hélico depuis la rive nord du Rio Iguaçu. Les spécialistes de l’intox devant se charger ensuite de trouver les coupables tout désignés de cette violation de la souveraineté argentine (Al-Qaïda tenait la corde, juste devant un « Front Guarani de Libération des Misiones » créé pour la circonstance…)

« Ce que nous vous demandons est extrêmement périlleux, avait insisté Labrousse. Ce que les Israéliens ont fait à Entebbe en 1976 relève, par comparaison, de la promenade de santé ! Il va de soi que davantage de temps aurait été indispensable pour vous préparer au mieux. Mais ce temps, nous ne l’avons pas…Demain prendra fin la trêve médiatique dont nous bénéficions pour Noël. Tous les journaleux du Monde vont se mettre à traquer notre président. Il faut le libérer au plus tôt ! »

Le capitaine Terrasson méditait ces paroles en vérifiant une dernière fois son équipement. Lui et les cinq autres hommes qui allaient se lancer dans le vide avaient reçu tout l’arsenal du guerrier occidental moderne : casque multifonctions ( avec lunettes-jumelles intégrées à vision nocturne), combinaison noire à renforts pare-balles, capteurs vitaux destinés à transmettre leur état de santé au QG, mini-ordi GPS au poignet, rations de survie, pistolet Sig-GSR, pistolet-mitrailleur Heckler & Koch à silencieux et viseur laser, lance-roquettes, trousse de premier secours, poignard à lame rétractable…Comme aurait dit son vieux père, il ne lui manquait plus qu’un moulin à légumes. Ils n’avaient pas non plus de plaque d’identité, et ce n’était pas le moindre aspect délicat de leur mission.

« Si vous êtes tués ou capturés, nos gouvernements nieront avoir connaissance de votre identité et de votre action, avait martelé le commandant Pourteau. Vous ne pourrez compter que sur vous-mêmes. Mais avec ce matériel et votre niveau d’expérience, vous valez des centaines d’hommes armés…Vous réussirez. »

A l’heure qu’il était, Pourteau devait être en train de tourner à 20 000 pieds d’altitude à bord d’un E2C Hawkeye brésilien, en compagnie de Labrousse et de Fernandes. L’avion faisait en sorte de rester au-dessus du territoire brésilien, tout en ne perdant rien de ce qui allait se produire du côté argentin de la frontière grâce à ses équipements radar et d’écoute sophistiqués. Ils étaient en liaison avec la deuxième équipe (celle de la 2e phase de l’opération) postée au nord du Rio Iguaçu, et la DCRI de Levallois-Perret, où trépignaient d’impatience Samuel Barcino et Henri Nagant. Les satellites allaient chauffer dur !

L’Airbus grimpait, fortement cabré, pour gagner son altitude de croisière. Il vibrait de toute la puissance de ses deux réacteurs. Le loadmaster, un brésilien râblé et très noir de peau, avait les yeux rivés sur le voyant encore rouge fixé au-dessus de la porte qui les séparait de la soute à bagages. Il leur fit un premier signe du pouce. Les commandos décrochèrent les harnais qui les maintenaient aux parois du compartiment secret. Aidés des trois assistants du loadmaster [officier responsable du largage et/ou de la synchronisation des sauts], les officiers parachutistes s’approchèrent de la trappe qui s’ouvrait lentement. Un vent froid s’engouffra dans le compartiment. A leurs pieds s’ouvrait un gouffre noir où défilaient à toute allure les lumières du plancher des vaches.

Terrasson parcourut du regard chacun de ses camarades : Pujol, Valentin, Ferrugia, Forterre et Ben Malek. Leurs yeux étaient dissimulés par la visière teintée de leur casque, mais il était sûr d’y lire le même mélange d’appréhension, d’excitation et de détermination qu’il ressentait lui-même. Surtout évacuer cette question gênante posée par cet enfoiré de Pujol à la fin du briefing :

« Dites-nous, messieurs…Si Fantômarx savait où se situait votre QG de Rio, et connaissait les numéros de vos portables pour vous prévenir gentiment qu’il allait tout faire péter, qu’est-ce qui nous garantit qu’il ne sera pas aussi bien au courant de tout votre plan génial ? »

Question restée sans réponse, bien sûr…

Le voyant passa au vert.

« Go, go, go ! » cria le loadmaster.

En moins de dix secondes, les six commandos disparurent dans le carré de ténèbres.

*

Il était environ 7 heures à Paris, et la nuit encore noire -ou plutôt orangée, du fait de l’effroyable pollution lumineuse de la capitale- quand le docteur Lefèvre prit son service à la morgue du Quai des Orfèvres. Mais il n’eut pas à descendre rejoindre les cadavres livrés la veille par le Père Noël. Un duo de types jeunes en complet veston, au crâne ras et munis d’oreillettes l’attendaient devant l’ascenseur en compagnie de son chef de service.

« Ah, Lefèvre, vous voilà ! s’exclama ce dernier en lui tendant une main nettement plus cordiale que d’habitude. Ces messieurs sont du Groupe d’Action Spéciale de la Présidence… »

Les deux gars exhibèrent leur carte tricolore à une vitesse défiant toute lecture de la part d’un être humain normalement constitué.

-Ah ? Heu... Enchanté…

Lefèvre avait appris comme tout le monde dans les médias l’existence de cette police parallèle, qui ne le remplissait pas plus de joie que la plupart de ses collègues. Une belle bande de frimeurs, gourmands de ces moyens qui faisaient de plus en plus défaut aux forces de l’ordre légitimes, toujours plus accablées d’ « objectifs » aberrants depuis l’élection de Lucas Zarkos.

-Nous avons ordre de vous emmener pour une autopsie urgente, dit sèchement l’un des deux gars. Confidentiel défense et priorité absolue. Voici l’ordre de réquisition…

Le chef de service, qui avait le papier en main, le tendit aussitôt à Lefèvre. Ce dernier y lut l’habituel jargon administratif, sans plus de précision.

-Et pourquoi moi, si ce n’est pas trop demander ?

-Nous avons ordre de prendre le meilleur spécialiste disponible. Votre chef vient de confirmer que vous êtes cet homme.

Le chef de service se rengorgea, attendant l’inévitable remerciement du subordonné étouffé par l’honneur d’être ainsi distingué.

-C’est gentil d’avoir pensé à moi, répliqua Lefèvre, même si je suis le seul médecin légiste présent aujourd’hui !

Ravi d’avoir un peu dégonflé la baudruche, Lefèvre suivit les deux hommes jusqu’à la grande cour où grondait doucement une Vel Satis aux vitres teintées. La voiture fila le long de la Seine jusqu’au ministère des Finances, quai de Bercy. En quelques minutes, par la grâce du badge GASP, le trio eut accès à la plate-forme circulaire située sur le toit du bâtiment. Un hélicoptère civil rouge et blanc les attendait, rotor en marche, et les emporta dans le ciel parisien.

Le docteur Lefèvre était assez ravi de cette mystérieuse escapade, et se moquait éperdument du mutisme et de la mine sombre de son escorte. Il profitait d’une superbe balade au-dessus de la capitale illuminée, tout en échappant à une morne journée de routine passée à ouvrir des macchabées dans un sous-sol mal éclairé, puant la viande froide et l’antiseptique. Il se demandait bien sûr qui pouvait être le « client » qui mobilisait de tels moyens, et pensa très vite au Président lui-même. A la radio, en venant au travail, il avait entendu un journaliste s’interroger sur le bizarre escamotage du Chef de l’Etat depuis la nuit d’émeute à Rio. Les gloseurs obsédés par la geste élyséenne n’avaient pas manqué de remarquer que Lucas Zarkos ne s’était pas adonné à son rituel quotidien du jogging, et n’était pas sorti de sa suite de l’Ipanema Palace de toute la journée d’hier. Pourtant, quel beau photoreportage cela aurait pu faire dans Paris Challenge … le président en short et tee-shirt noir frappé des lettres blanches FBI, avec la légende idoine : Au lendemain des émeutes, il court dans les rues de Rio. Quel homme !

Le docteur Lefèvre eut un petit sourire. Comme beaucoup d’autres Français, il avait cru en Zarkos et ses promesses démagogiques, et le regrettait amèrement aujourd’hui. Si c’était bien sa dépouille qu’il allait devoir examiner, il ne risquait de verser une larme. Mais il ne fallait pas rêver…Peut-être s’agissait-il tout simplement de la belle-mère du Président, dont l’état de santé avait justifié le retour en catastrophe de Carola Biondi-Zarkos en Italie.

Après quelques minutes de vol en direction du Sud-ouest, l’hélicoptère descendit vers la base aérienne de Villacoublay. Il se posa devant un bâtiment gris très à l’écart des principales installations. Il s’agissait d’un ensemble de locaux préfabriqués dissimulés aux regards indiscrets par une clôture de panneaux verts sombres opaques. Un cordon de militaires d’allure sinistre, armés jusqu’aux dents, montait tout autour une garde vigilante. Lefèvre remarqua, juste avant l’atterrissage, l’énorme groupe électrogène monté sur remorque et connecté au bâtiment à l’intérieur de l’enceinte.

Ce fut Charles Guéhaut lui-même, premier Conseiller du Chef de l’Etat et Premier ministre officieux, qui vint l’accueillir en compagnie d’un grand type à l’air chafouin emmitouflé dans une parka qui le protégeait de l’air humide et glacé de décembre.. Sa poignée de main était froide et légèrement moite, celle d’un homme dévoré par le stress. Les valises sous les yeux, visibles malgré les grosses lunettes, confirmaient cette impression.

« Docteur Lefèvre, je vous présente le docteur Collet…Vous vous connaissez, je crois ?

Collet, médecin attaché à l’Elysée depuis six mois, travaillait également pour la DCRI et le GASP. Lefèvre se rappelait vaguement l’avoir rencontré dans un colloque de médecine légale organisé par Europol à Bali. Ses connaissances professionnelles y avaient peu progressé, mais il gardait un souvenir inoubliable de quelques beuveries, et surtout d’une merveilleuse séance de massage aux frais de l’Union européenne.

L’intérieur du bâtiment gris avait été aménagé comme un petit hôpital de campagne, avec un vestiaire à antichambre stérile donnant accès à la salle d’autopsie proprement dite. Dans un vestibule, on offrit un café au docteur tandis que Guéhaut et Collet lui faisaient le topo.

« Le Président de la République a été victime d’un arrêt cardiaque dans la nuit du 24 au 25 décembre, vers cinq heures du matin. C’est son épouse qui l’a découvert et a donné l’alerte.

-Carola ? Heu, je veux dire, Mme la Présidente ? Mais je croyais qu’elle avait dû rentrer du Brésil pour aller en Italie auprès de sa mère ?

-C’est exact, soupira Guéhaut, mais le Président l’a rejointe peu après.

-Mais alors, qui…

-Secret défense ! coupa le conseiller. Vous n’avez pas besoin d’en savoir davantage pour l’instant.

-Nous avons perdu pas mal de temps à réunir tout le matériel sur ce site éloigné des curieux, expliqua Collet d’une voix fatiguée. Je n’ai pu procéder aux premiers examens approfondis qu’au milieu de cette nuit, en commençant par un électroencéphalogramme et un électrocardiogramme. Je tenais à compléter le premier examen fait en urgence en Italie avec des instruments plus sommaires, qui m’avaient amené à conclure à un décès… »

Il reprit son souffle, Lefèvre retenant le sien. Il n’en revenait pas de vivre un évènement pareil ! Le plus frustrant serait sans doute de tout devoir garder pour lui pendant un bon bout de temps.

« Et bien m’en a pris…les deux contrôles ont révélé une activité cardiaque et cérébrale très ténue, mais réelle. J’ai embrayé sur une IRM…

-Vous avez de quoi faire une IRM ici ? s’étonna Lefèvre, qui connaissait par ailleurs la misère grandissante du système hospitalier français.

-Oui, bien sûr, ainsi qu’un labo de toxicologie assez performant : spectromètre de masse, chromatographe, et tout et tout, répondit Collet. Rien n’est trop beau pour notre Président…

Charles Guéhaut leva un sourcil désapprobateur, mais ne releva pas l’ironie du propos.

-Vous lui avez fait une analyse sanguine ?

-Evidemment, et voilà ce que ça donne… »

Il lui tendit une longue bande de papier imprimé sur laquelle l’œil exercé de Lefèvre sut tout de suite repérer le plus important, au milieu d’une masse de données chiffrées.

« De la tétrodotoxine !

-J’avais entendu parler de votre article là-dessus dans Medleg magazine, et j’ai obtenu de M. Guéhaut d’obtenir votre aide.

-Parce que vous avez travaillé tout seul jusqu’ici ? Je comprends votre… heu…

-Ma sale gueule ? Oui, je suis crevé, mais…

-Secret défense ! lança encore l’intraitable Guéhaut. Je n’étais guère favorable à ce qu’il y ait autant de monde au courant ! Le personnel technique qui a monté ces locaux a été réduit au strict minimum, et ne savait rien de l’identité de l’homme qui a été amené ici par avion en « body bag » noir. Il en de même pour les gardes qui campent dehors. Quant à Mme Biondi-Zarkos, elle est restée en Italie pour donner le change. Mais trêve de bavardage, qu’avez-vous à nous apprendre sur cette substance ? Votre collègue a trouvé diverses choses sur le Net, mais nous aimerions avoir votre avis en direct…

-Eh bien, commença Lefèvre, c’est une neurotoxine très puissante, mais également très ancienne, utilisée depuis peut-être 5000 ans, extraite de poissons de la variété des tétrodons, d’où son nom. C’est cette toxine qui tue chaque année quelques amateurs de « fugu » au Japon. Là-bas, on attend au moins trois jours avant d’enterrer ou d’incinérer quelqu’un victime de ce poison, car il arrive que les défunts…se réveillent.

-Se réveillent ?

-Oui. La tétrodotoxine ne tue pas toujours ; cela dépend de la dose ingérée. Ses effets imitent parfaitement la mort, avec même un début de rigidité cadavérique. Le pouls de la victime devient imperceptible, et celle-ci tombe dans une sorte d’hibernation qui lui permet de séjourner dans des lieux très froids ou fort mal aérés. Parfois, la personne meurt quand même, après avoir passé quelques heures entre la vie et la mort. Mais le pire est que l’on reste conscient pendant tout ce temps là, totalement paralysé ! Les rares rescapés nous ont livré des récits effroyables, et il est fort probable que beaucoup ont été enterrés ou brûlés vifs. Il y a quelques années, à Portland, aux Etats-Unis, un homme a même été disséqué vivant après avoir été empoisonné à la tétrodotoxine par un psychopathe -que l’on jamais épinglé, d’ailleurs. La spécialiste chargée de l’autopsie ne s’est aperçue de rien, jusqu’au moment où elle a ouvert totalement le bonhomme…

-C’est répugnant ! lâcha Guéhaut avec une grimace explicite. Mais nous n’avons là que confirmation de ce que votre collègue a découvert. De fait, nous espérons davantage de votre participation.

Collet embraya :

-Je n’ai trouvé nulle trace d’injection de cette fichue toxine, et j’ai besoin d’aide pour effectuer un nouvel examen…je n’en peux plus ! Et puis surtout, nous aimerions réanimer le Président, et nous ne voyons pas comment faire. Il n’a pas l’air de sortir de cette « hibernation », comme vous dites.

Lefèvre se gratta machinalement la tête.

-Pour les traces d’injection, on verra bien…Quant à la réanimation elle peut survenir naturellement en quelques heures, quelques jours…ou jamais ! Auquel cas, la victime pourrait mourir bêtement d’inanition, car l’alimentation par intraveineuse ne donnerait rien sur un organisme aussi ralenti.

-On ne peut pas se permettre d’attendre et de prendre un risque pareil ! protesta Guéhaut. Il s’agit du Président de la République française !

-Ouais, fit Lefèvre, et c’est sûrement ce qui peut lui sauver la vie. On ne déploie jamais de tels moyens pour tirer d’affaire le vulgum pecus.

-Epargnez-nous votre petite morale, docteur ! Nous n’avons…

-Je ne vous épargnerai rien, l’interrompit Lefèvre, d’autant plus que je crois bien connaître le moyen de le sauver, ce cher Président !

Collet poussa un soupir de soulagement et donna machinalement un coup de coude des plus familiers au conseiller présidentiel :

-Vous voyez, hein, que nous avons trouvé l’homme de la situation !

Guéhaut le foudroya du regard.

*

Le capitaine Terrasson tombait, bras et jambes en croix. Sa visière auto-réglable s’était mise en mode « vision nocturne » et lui permettait d’admirer un splendide paysage tout en nuances verdâtres. Il avait été lâché à 2000 pieds environ (soit à peu près 700 mètres), et aurait à ouvrir son pépin à 900 pieds dernier carat. Un magnifique LALO, dans le jargon des parachutistes [ NDA : Low Altitude Low Opening]. Indifférent au souffle de l’air qui battait sa combinaison noire, il effectua un rapide tour d’horizon.

Au Nord-ouest scintillaient les milliers de lucioles de la conurbation formée, à la confluence des rios Parana et Iguaçu, par les villes de Ciudad del Este –Paraguay, Foz de Iguaçu –Brésil, et Puerto Iguazu –Argentine. Une vaste agglomération transfrontalière où tous les trafics imaginables avaient libre cours. Aux extrémités de son champ de vision, les parcelles de champs cultivés et les villages semblaient envahir la terre depuis les quatre points cardinaux, grignotant la forêt vierge qui s’étendait encore au-dessous de lui. Le capitaine admira la tranchée qui entaillait le bord du plateau brésilien après le dernier et large méandre du Rio Iguaçu. Les eaux du fleuve s’engouffraient sur les trois côtés de ce canyon dans un chaos d’écume à couper le souffle. Il apercevait nettement les hôtels construits près de chutes, et les passerelles les surmontant pour permettre aux touristes de se tremper d’embruns tout en se noyant les yeux. Plus au sud clignotaient les feux de l’aéroport argentin desservant le site.

Un coup d’œil au-dessus de lui suffit à le rassurer : ses camarades le suivaient en formation serrée, sans que rien ne cloche. Ils auraient pu échanger leurs impressions, mais les consignes étaient strictes : silence radio jusqu’à l’atterrissage, sauf nécessité absolue. Terrasson voyait les chiffres de l’altimètre défiler à l’intérieur de sa visière, qui faisait office d’écran multifonctions relié en Wi-Fi à au mini ordinateur de son poignet. Il reporta son attention sur l’objectif, juste en-dessous, dont il se rapprochait à vive allure.

La Colonia Alemana formait un quadrilatère aisément repérable d’environ 500 mètres de côté, bordé au nord par la piste d’atterrissage d’un petit aérodrome, et au sud par une grande exploitation agricole destinée aux cultures expérimentales comme à l’alimentation des habitants des lieux. Le plan de la Colonia était parfaitement orthogonal, avec deux avenues orientées nord-sud et est-ouest, qui se croisaient à angle droit sur une vaste place rectangulaire où s’érigeait un bloc de béton blanc haut de six étages, la construction la plus élevée de l’ensemble. Elle abritait un centre administratif et certains laboratoires de recherche. C’était là que siégeait le patron de la Colonia, Johannes Von Hansel. La petite lumière intermittente affichée sur l’écran de Terrasson indiquait que le Président français y était aussi…et toujours vivant.

Le reste de la Colonia se divisait en quatre quartiers découpés en petites rues : au nord-ouest, divers entrepôts et magasins ; au nord-est des ateliers et une centrale électrique ; au sud-est des laboratoires, un hôpital et une école ; et au sud-ouest les blocs d’habitations, des installations sportives et de loisirs, parmi lesquelles une piscine olympique et cinq courts de tennis. Le tout abritait environ 2500 personnes, dont plusieurs centaines d’enfants. Un beau village en somme, dont l’architecture était harmonieuse, mêlant le moderne et le colonial espagnol, dans une trame à la rigueur toute germanique.

Mais quelques détails rappelaient aussitôt à l’observateur que l’on n’était pas pour rien dans un repaire d’anciens nazis. La Colonia était en effet entourée d’une double clôture de barbelés électrifiés de quatre mètres de hauteur, avec un mirador équipé de mitrailleuses à

chaque angle du périmètre, muni d’un projecteur balayant largement les alentours. Les quatre entrées du village étaient gardées par un poste de contrôle, et les portes restaient fermées sauf nécessité. Par ailleurs, les avenues et les rues secondaires de la Colonia étaient totalement désertes, à l’exception de quelques patrouilles de vigiles montées sur véhicules électriques. Les avenues étaient éclairées a giorno par de nombreux lampadaires, relayées par d’autres moins puissants le long des voies secondaires. Une telle débauche d’éclairage visait davantage à contrôler les allées et venues qu’à les faciliter. Certes, on était au milieu de la nuit, mais le colonel Fernandes avait informé les commandos qu’un couvre-feu était en vigueur dans l’enceinte de la Colonia à partir de 20 heures, ce qui n’était guère dans les mœurs latino-américaines.

A ce dispositif peu engageant, il convenait d’ajouter une étendue de jungle épaisse, elle-même clôturée, d’environ 100 hectares, où traînaient peut-être les choses immondes évoquées par Fernandes.

Un « bip-bip » résonna dans les écouteurs de Terrasson, en écho au voyant rouge qui venait de s’allumer sur son écran transparent. 900 pieds. Il ouvrit son parachute, dont la voilure noire rectangulaire se déploya dans un claquement sec. Les cinq autres en firent autant, jouant sur les commandes nerveuses pour régler leur descente vers l’objectif. A priori, atterrir sur le toit de l’immeuble en béton ne devait pas poser de problème à des gars entraînés à se poser sur un mouchoir de poche. La zone faisait près de 600 mètres carrés, avec une piste circulaire pour les hélicos, et pour seules aspérités le cabanon d’une montée d’escalier, celui d’un moteur d’ascenseur, et quelques bouches d’aération. Mais il leur fallait d’abord neutraliser les quatre gardes qui y faisaient les cent pas, et prier pour qu’aucun de ces types n’ait trop tôt l’idée de regarder en l’air. Ils n’avaient apparemment pas de lunettes de vision nocturne, mais les lampadaires de la place et l’éclairage des quatre angles de l’immeuble devaient leur permettre de distinguer une invasion venue du ciel à moins de cinquante mètres. Pas question de prendre ce risque, et c’était là que démarrait la difficulté. D’une main rendue sûre par des flopées d’heures d’exercice, le capitaine Terrasson et ses hommes dégagèrent leur Heckler & Koch à canon court, au silencieux déjà vissé et viseur laser activé. Ils crachèrent la mort à moins de cent mètres, tout en achevant leur descente.

Quant les parachutistes se posèrent sur le toit, aussi silencieusement qu’une brassée de feuilles mortes, les quatre vigiles étaient au tapis avec trois ou quatre balles dans le buffet. Après avoir sommairement replié leur toile, Terrasson et Pujol se chargèrent de faire le tour des cadavres, laissant les autres sécuriser le périmètre. Par chance, le travail avait été fait proprement, et ils n’eurent pas à donner de coup de grâce.

« Houba Leader à Marsu, lança Terrasson dans son micro à l’intention de ses chefs. Toit nettoyé, aucun incident. Passons à l’étape suivante… »

L’étape suivante ! Le début de la grande improvisation, plutôt…Si les commandos savaient que leur cible était juste à l’étage en-dessous, l’épaisseur de béton du toit interdisait tout thermoscanning ou analyse aux rayons X. Pas moyen, donc, de savoir combien de types tenaient compagnie au prisonnier. Ils disposaient d’un plan des lieux grâce aux services secrets brésiliens, mais il datait de plus de vingt ans, soit à peu près l’époque de sa construction. Beaucoup de choses avaient pu changer depuis.

La voix du colonel Fernandes crachota dans les écouteurs du capitaine :

-Muito bem ! Gardez vos positions, les gars. Quelqu’un arrive pour vous donner un coup de main, d’ici environ…cinq minutes. Terminé ! »

Terrasson et Pujol en restèrent abasourdis. Ce n’était pas du tout ce qui était prévu.

-J’aime pas ça, putain de merde, grommela Pujol. J’aime pas ça du tout…

-Houba leader à Marsu, appela à nouveau Terrasson. Demande confirmation des dernières consignes !

Cette fois, ce fut Labrousse qui se fit entendre :

-Marsu à Houba leader, ordre confirmé : gardez vos positions et fermez-la. Terminé ! »

A suivre…Dans l’Antre de la Bête.

vendredi 24 juillet 2009

Chapitre 12 : Opération « Houba hop ! »

« Madame, il y a quelqu’un au visiophone qui demande à vous parler…

Marie-Claire de Castelbougeac fronça les sourcils, qui étaient aussi élégants que le reste de sa personne. A plus de soixante ans, la relativement riche veuve du baron de Castelbougeac resplendissait toujours. Et ce n’était pas au moment de passer à table, pour le déjeuner de Noël, qu’elle allait négliger son apparence.

-Nous n’attendons plus personne, pourtant, fit-elle en parcourant du regard l’ensemble des convives qui prenaient l’apéritif au salon.

Héloïse, sa fille cadette, son gendre, leur petit garçon de deux ans, sa mère (qui portait beau ses quatre-vingt dix ans), et enfin son compagnon, veuf comme elle et guère dans le besoin non plus. Il ne manquait que sa fille aînée, partie au Brésil, et qui n’avait toujours pas appelé pour lui souhaiter un joyeux Noël. Cela l’inquiétait particulièrement, après ce qu’elle avait entendu aux infos sur les émeutes de Rio de Janeiro. Elle avait déjà tenté d’elle-même de la joindre à son hôtel, mais la réceptionniste lui avait répondu que Mylène n’était pas rentrée depuis la veille. Marie-Claire avait tenté de se rassurer, sachant que sa fille et Jean-Marie Fondar devaient passer le réveillon avec l’homme le mieux gardé de France, mais son instinct de mère la titillait fort désagréablement.

-Qui est-ce, Sarita ?

-Une certaine Mme Delpeyrat. Elle dit qu’elle doit absolument vous parler. Il s’agit de mademoiselle Mylène, paraît-il.

Marie-Claire fut franchement intriguée, et vaguement inquiète. Héloïse le remarqua aussitôt et posa sa flûte de champagne sur un guéridon Louis XV.

-Tu connais cette dame, maman ?

-Pas plus que toi, ma chérie…mais je vais tirer cela au clair. Je vous abandonne un instant.

Mme de Castelbougeac se rendit au vestibule en faisant claquer ses talons sur le vieux parquet, suivie par l’employée de maison.

-Je dois vous prévenir, Madame, que cette personne n’a pas l’air très…enfin, très comme il faut.

-Voyons donc cela, répondit Marie-Claire en prenant le combiné du visiophone.

Sur le petit écran couleur s’affichait le visage peu engageant d’une quinquagénaire aux yeux creux comme ses joues.

« Une vraie clocharde, songea aussitôt Marie-Claire. Cela doit être une de ces parasites qui croient que Noël leur permet toutes les audaces en jouant sur les bons sentiments des classes sociales « favorisées » !

-Oui ? fit-elle avec un rien d’agressivité.

-Oh, mam…heu, Madame ! Merci de me consacrer quelques instants ! Je suis désolée de vous déranger, mais c’est vraiment très urgent…

Elle parlait un peu trop vite, d’une voix râpeuse et déplaisante.

-Faites-vite, je vous prie…j’ai des obligations, voyez-vous.

-Il s’agit de Mylène. Il lui est arrivé quelque chose de terrible !

Marie-Claire sentit le sang battre plus vite à ses tempes. Elle éprouvait un mélange de peur et de colère envers cette intruse au visage ingrat.

-Ma fille est au Brésil, et je n’ai aucune raison de penser qu’il lui soit arrivé quelque chose de grave. Comment la connaissez-vous ?

-Eh bien, je… »

La bonne femme jeta un regard de côté, comme si elle attendait une aide de quelqu’un placé près d’elle, hors champ du visiophone. La méfiance de Marie-Claire en fut redoublée.

-Disons que je…je la connais très bien, et depuis longtemps.

-Et comme par hasard, elle ne m’aurait jamais parlé d’une aussi vieille copine ? Vous me faites perdre mon temps ! Joyeux Noël quand même ! »

Et Marie-Claire coupa net.

*

« Maman, je t’en prie ! Laisse-moi une chance ! hurla Mylène en appuyant frénétiquement sur le bouton d’appel.

-Laisse tomber, lui dit gentiment Jean-Marie en la prenant par l’épaule. Je t’avais bien dit que ça ne marcherait pas…tout ce qu’on va gagner, c’est… »

La gardienne de l’immeuble classé apparut à la fenêtre de sa loge, qui donnait juste à côté de la porte cochère en bois massif. Elle ressemblait fortement à Josyane Balasko.

-C’est bientôt fini ces braillements ?! Barrez-vous tout de suite ou j’appelle les flics !

-Ouais, ouais, on y va…Viens, Mylène… »

Et le couple de SDF s’éloigna lentement, la pauvre Mylène pleurant à chaudes larmes. Elle n’était plus à sa place dans ce beau quartier, l’un des plus agréables du XVIe arrondissement, où les rares passants qu’ils croisaient ne pouvaient s’empêcher de les considérer avec un mélange de stupeur et de dégoût mal dissimulé.

« Mais que va-t-on faire, maintenant ? Où va-t-on aller ?

-Côté famille pour moi, c’est zéro, dit Jean-Marie, mais je ne pense pas que ma propre mère m’aurait mieux accueilli, si ça peut te consoler.

-Tu parles, ça me remonte le moral à un point ! renifla Mylène.

Le brave Nanard leur avait expliqué que les Delpeyrat ne pouvaient guère compter sur leurs proches. Leur histoire était assez lamentable. Deux ans plus tôt, ils tenaient encore un bar-tabac à Boulogne-Billancourt, mais la faillite de nombreuses entreprises du coin avaient fait disparaître leur clientèle d’habitués, déjà fortement réduite par la flambée de la taxe sur le tabac et l’interdiction de fumer dans les cafés-restaurants. Ils avaient vendu leur fonds de commerce à un prix intéressant, espérant investir dans un autre projet, mais leur conseiller financier avait eu l’excellente idée de confier toutes leurs billes à une société d’investissement américaine appartenant à un certain Willard Doffmann, spécialiste de l’entourloupe de haut niveau. L’escroc était depuis en prison, mais le couple de buralistes n’avait plus que ses yeux pour pleurer. Et, contrairement, à ce triste sire, les Delpeyrat n’avaient aucune garantie de dormir au chaud la nuit suivante. Leurs enfants, leurs frères, sœurs et cousins leur avaient tous peu à peu tourné le dos. Apparemment, les Delpeyrat n’avaient pas effectué toutes les démarches nécessaires pour toucher les minima sociaux –ou en avaient été privés pour d’obscures raisons que Nanard avait été infichu de leur expliquer-, et ne vivaient plus que de mendicité dans le métro : Dédé jouait de l’harmonica, et Zézette de la flûte de Pan, avec de ridicules bonnets péruviens et des ponchos troués.

Avant de quitter le Pont de l’Alma, Jean-Marie et Mylène s’étaient essayés à pratiquer ces instruments, mais ils durent constater avec amertume que le transfert de personnalité réalisé par Fantômarx s’était limité à leur seule enveloppe corporelle.

« Honnêtement, leur avait dit Nanard avec un pauvre sourire, c’était pas terrible ce que vous jouiez avant, mais là…vous avez vraiment tout oublié, hein ? »

-Jean-Marie, dit Mylène d’une voix qui se voulait plus assurée, il est hors de question que nous passions une autre nuit dehors, ou dans un des ces horribles foyers pour sans-abri.

-Tout à fait d’accord, mais que veux-tu faire ? Porter plainte au commissariat le plus proche pour vol de corps et d’identité ? Nous n’aurons pas plus de succès qu’avec ta mère…

-Il nous reste des amis ! Et j’ai trouvé une carte téléphonique dans ce…dans mon sac. Nous devons nous y prendre autrement, faire en sorte de leur parler avant qu’ils ne voient nos nouveaux visages, et les y préparer…

-Hum ! Cela paraît facile comme ça, mais comment…

-Tu vas me laisser faire, et je sais par qui commencer ! »

Un peu regonflés moralement, les deux SDF se mirent en quête d’une cabine téléphonique. Ils mirent une bonne heure à en dénicher une, tant le succès des téléphones portables avait incité les autorités à se défaire de ces vieilleries coûteuses à entretenir.

D’une main qui tremblait légèrement, Mylène glissa sa carte dans la fente, pour voir aussitôt le message suivant s’afficher sur le petit écran jaune :

« Crédit épuisé ».

-Va falloir casser notre maigre tirelire, ma chérie, grinça son compagnon d’infortune. Mais surtout trouver un marchand de cartes téléphoniques ouvert un 25 décembre…

-Et merde ! »

*

En ce milieu d’après-midi, un soleil ardent écrasait la base aérienne Santos Dumont, située à 25 km au Nord-ouest de Rio de Janeiro. Toutefois, la petite équipe rassemblée dans un hangar climatisé et fortement gardé avait autre chose à faire qu’à commenter les joies de l’été austral.

Sur une petite estrade, autour d’un pupitre, se tenaient le commissaire Labrousse le commandant Pourteau et le colonel Fernandes. Face à eux, assis en ligne sur des chaises pliantes, six hommes du commando spécial d’intervention du GASP en tenue noire attendaient avec impatience le briefing de leurs chefs. En arrière-plan, la silhouette sombre de l’un des deux hélicoptères d’espionnage amenés de France par avion gros porteur semblait veiller sur tout le monde comme un gros insecte de métal. L’éclairage du hangar se limitait à l’espace occupé par les hommes. Dans le dos des trois chefs, un grand écran avait été dressé pour projeter les illustrations nécessaires à l’exposé préparées sur un ordinateur portable placé sous le pupitre.

« Messieurs, commença Labrousse après s’être raclé la gorge, la mission que nous allons vous exposer est infiniment délicate et périlleuse. Nous n’avons eu que peu de temps pour réunir les informations nécessaires à son exécution, et nous sommes parfaitement conscients qu’elles sont dramatiquement insuffisantes pour assurer au mieux votre succès… »

Ça commence bien ! songea le capitaine Terrasson, qui commandait le groupe d’assaut. Mais cette entrée en matière suscitait chez lui une agréable montée d’adrénaline. Il n’était pas entré au GASP pour faire du tricot.

« Cette mission, poursuivit Labrousse, est la plus importante que les services spéciaux de notre pays aient jamais eu à accomplir depuis leur création. Il s’agit de libérer le Président de la République française, enlevé la nuit dernière par des terroristes ! »

Les visages durs des hommes d’action se figèrent de stupeur. Ils avaient eu beau subodorer qu’il y avait du louche dans cette histoire de président caché dans son hôtel, et savoir que bon nombre de leurs camarades avaient été mis au tapis par de mystérieux agresseurs dotés de moyens stupéfiants, ils n’en étaient pas moins abasourdis. Le lieutenant Pujol leva le doigt :

-Sait-on au moins qui a fait le coup ?

-Personne n’a encore rien revendiqué, répondit Pourteau, mais nous avons de bonnes raisons de penser qu’il s’agit de Fantômarx ! Voilà l’occasion, messieurs, de prendre votre revanche sur celui qui nous a ridiculisés il y a quelques jours !

Ouais, et surtout moi ! pensa Terrasson, qui avait toujours sur les papilles l’horrible goût de fraise chimique du sirop dans lequel il avait baigné. Labrousse leur expliqua brièvement, avec les mêmes moyens illustratifs que pour le colonel Fernandes, comment la GASP et la DCRI avaient pu pister Zarkos et ses ravisseurs jusqu’au repaire de ces derniers.

Sur l’écran apparut une image satellite représentant un vaste complexe de bâtiments formant un quadrilatère régulier tracé en pleine jungle. Le colonel Fernandes se chargea du commentaire :

« Il s’agit de l’image la plus récente que nous ayons de la Colonia alemana, ou colonie allemande, située en Argentine, dans la province des Misiones. C’est une langue de terre entourée par le Brésil au nord et à l’est, le Paraguay à l’ouest et l’Uruguay au sud. Une région sauvage et très peu peuplée, dont une bonne partie est désormais incluse dans le parc national d’Iguazu. Les routes y sont rares et plutôt mauvaises, mais il y a un aéroport international à une vingtaine de kilomètres seulement, à l’ouest de la Colonia. Il dessert le complexe touristique édifié depuis quelques décennies autour des célèbres chutes d’Iguaçu, que se partagent le Brésil et l’Argentine.

« Comme son nom l’indique, la Colonia a été fondée par des émigrants allemands venus en Argentine à la fin du XIXe siècle. Ils ont acheté des terres aux Jésuites, qui veillaient sur les Indiens Guaranis depuis les débuts de la colonisation européenne, en promettant de poursuivre l’œuvre civilisatrice de cet ordre religieux. De fait, ils ont surtout développé une forme d’agriculture vivrière, puis commerciale, en faisant faire le sale boulot aux Indiens sans leur donner grand chose en retour. Les Guaranis ont fini par fuir les lieux, surtout après que Helmut Von Hansel eût pris la direction de la direction de la Colonia en 1946. »

Plusieurs photos défilèrent sur l’écran, montrant toutes le visage d’un homme à différents stades de sa vie, à partir d’environ trente ans. Si les cheveux se raréfiaient et blanchissaient, les traits restaient durs, qu’un même sourire étrange n’adoucissait en rien. Un profil d’aigle, avec des yeux enfoncés et cruels. Les premières images montraient Von Hansel en uniforme noir de la SS.

« Von Hansel fut pendant la guerre le premier assistant du fameux Doktor Mengele, le médecin SS d’Auschwitz, dont il partageait la passion pour les études génétiques. Ayant échappé aux recherches des services secrets alliés, il s’est réfugié en Argentine où le régime de Juan Peron lui a fait bon accueil, comme à beaucoup d’autres anciens nazis tels que Heichmann. Sous son impulsion, la Colonia alemana s’est peu à peu reconvertie dans la recherche de pointe, dans différents domaines : agronomie, biologie, pharmacie, puis informatique, avec toutefois, semble-t-il, une prédilection pour la génétique. Selon différentes sources, de nombreux cobayes humains auraient servi aux expériences menées par Von Hansel. Des Guaranis d’abord… »

Une photo couleur datant de 1964 apparut à l’écran, celle d’un homme, torse nu, de type indien, avec cette caractéristique chevelure raide coupée au bol. Mais la peau du gars était d’une pâleur anormale, les cheveux d’un blond presque blanc, et les yeux d’un bleu délavé qui produisait un effet terrifiant. Les commandos échangèrent des mines dégoûtées.

« …Puis des prisonniers politiques livrés par la dictature des colonels, entre 1976 et 1983. Après la mort de l’ancien nazi, c’est son fils Johann qui a repris l’œuvre paternelle, avec certainement d’autres sources d’approvisionnement en cobayes humains… Voici le portrait le plus récent du fiston… »

Un quinquagénaire aux joues creuses, barbichu et grisonnant, au crâne passablement déplumé fit son apparition à l’écran. Dans sa blouse grise d’où émergeait un maigre cou de vautour, il faisait plutôt penser à un vieil instituteur de province. Il se tenait appuyé à une balustrade en bois, sur fond de forêt tropicale. Il avait le même profil d’oiseau et le même regard fixe que l’ara multicolore perché sur son épaule. La tête d’un génie ou d’un fou furieux.

Le lieutenant Ferrugia leva la main :

-Comment se fait-il que l’actuel gouvernement argentin, censément démocratique, laisse faire tout cela ? Si vous savez toutes ces choses, ils les connaissent aussi…

-Très juste. Mais les Von Hansel, père et fils, ont su nouer au fil du temps tout un réseau d’influences et de protections, qui s’étendent jusqu’aux Etats-Unis. A l’époque de l’Opération Condor, la grande manœuvre de nettoyage anti-communiste que la CIA a menée en Amérique latine dans les années 60 et 70, la Colonia a constitué l’une des principales bases logistiques des Yankees. Ils ont aussi effectué pour la dictature argentine pas mal de vilaines besognes, et ont gardé un bon paquet de noms dans leurs fichiers qui pourraient encore gêner du monde aujourd’hui. Par ailleurs, la Colonia est très riche : elle verse chaque année en impôts des millions de dollars à un gouvernement qui ne peut pas se permettre de cracher dessus en temps de crise…sans parler des pots de vin ! Certains estiment que Von Hansel serait la deuxième ou la troisième fortune du pays…C’est lui qui a financé l’essentiel de l’aéroport qui dessert la région, qui paye le salaire et l’équipement des employés du parc national d’Iguazu. Il a des parts dans tous les hôtels du site des cataractes, côté argentin et brésilien, et figure parmi les plus gros actionnaires des principales entreprises du pays. S’il coule, l’Argentine sombre.

-D’où tire-t-il tout ce pognon ? interrogea le lieutenant Valentin.

-Officiellement, la Colonia tout entière appartient aujourd’hui à une entreprise privée dont le PDG est Johann Von Hansel lui-même, une société baptisée Misiones Biotech Corporation, ou MBC. Nos recherches ont révélé des liens très étroits, en participations croisées, avec d’autres entreprises telles que le géant World Biotech Engineering Corporation, qui a émergé depuis quelques mois en profitant de la crise financière pour avaler un certain nombre d’entreprises de pointe du monde occidental.

-Où est basée cette belle entreprise ? demanda Terrasson. Aux Iles Caïmans ?

-Perdu, mais de peu, répliqua Pourteau… aux Iles Vierges ! Mais détail intéressant, la World Biotech détient également en pleine propriété la Caribbean Properties Company, la société immobilière bahaméenne propriétaire de l’immeuble de la rue de Kabylie où vous êtes intervenus dimanche dernier. Curieux hasard, n’est-ce pas ? Voilà pourquoi nous estimons que tout ceci implique notre cher ami Fantômarx.

-Un révolutionnaire marxiste complice d’anciens nazis, de la CIA et des fachos argentins ! ironisa Pujol. On aura tout vu…

-L’Histoire politique en a vu d’autres, ajouta Labrousse. La fin justifie les moyens.

-A moins qu’il ne soit lui-même un ancien nazi, voire Von Hansel lui-même, suggéra Ferrugia. Son numéro gauchiste ne serait que poudre aux yeux !

-Ce sera à vérifier, coupa Labrousse. En tout cas, et pour répondre à la question de Valentin, la Misiones Biotech serait à l’origine de beaucoup de brevets juteux, reposant sur la découverte et la synthèse de molécules utilisées par l’industrie pharmaceutique : mélatonine, viagra, spiruline…Par ailleurs, elle engrangerait de fortes sommes par ses activités de chirurgie esthétique destinées aux VIP de tout poil : stars du show-biz, hommes politiques et businessmen, mafieux. Il ne s’agirait pas là de simples retouches, mais d’une refonte complète de l’identité physique des clients de MBC. Visage, empreintes digitales, et même voix, ce qui serait théoriquement impossible.

-Mais qui nous ramène une fois de plus à Fantômarx, le roi de la substitution d’identité ! insista Pourteau. L’étau se resserre, messieurs…

Le colonel Fernandes reprit la parole, après que son collègue français eut pris le temps de savourer son petit effet sur les commandos, dont la tension était à son comble. Enfin, l’ennemi commençait à avoir un visage, une localisation ! Ils allaient pouvoir frapper à leur tour, au lieu de subir les fantaisies de l’homme au masque rouge.

« Cette longue entrée en matière, vous l’aurez compris, était nécessaire que vous compreniez à quel ennemi nous avons affaire. Un ennemi puissant, disposant d’appuis solides, dans un pays étranger. Certes, l’Argentine et le Brésil sont partenaires dans le cadre du Mercosur, et nos dirigeants partagent en ce moment les mêmes vues générales sur bien des sujets, comme notre émancipation à l’égard des Etats-Unis. Mais il serait illusoire de penser que nous obtiendrions rapidement l’accord de nos homologues argentins pour une intervention concertée sur le territoire de la Colonia. Il faut aussi considérer que Von Hansel doit avoir des antennes dans toute l’Argentine. Si nous entrions en contact avec les Argentins pour les avertir de l’affaire, il en serait aussitôt informé, et tous nos plans seraient à revoir. D’autre part, la région des Misiones fut longtemps disputée entre les pays voisins, et le nationalisme de nos deux peuples est toujours à fleur de peau, malgré les accords de libre-échange. Nous allons donc devoir jouer très serré : frapper vite, tout en évitant la catastrophe diplomatique. C’est pour cela que nous avons conçu l’opération dont le nom de code sera… »

Il toussa, un peu gêné, laissant le commissaire Labrousse prendre la relève :

-L’opération « Houba Hop ! »

A suivre…dans Le GASP saute sur Iguaçu.

mercredi 8 juillet 2009

Chapitre 11 : Putain de Noël !

Errata : ben oui, encore des erreurs ! Ça prouve au moins que je relis mes âneries… la première concerne le décalage horaire entre la France et le Brésil, qui est de 5 heures et non de trois. L’autre concerne le mot « errata » lui-même, au début de l’épisode précédent : comme il n’y avait qu’une erreur mentionnée, il aurait fallu écrire « erratum », soit erreur au singulier en latin. Voilà ce que c’est de vouloir faire savant…


Jean-Marie Fondar ouvrit péniblement les paupières, frissonnant dans le froid glacial et humide du matin. Il lui sembla que le plafond de sa cellule de luxe avait quelque peu changé. Toujours en pierre et toujours voûté, mais d’un assemblage différent, et surtout beaucoup plus haut, plus sombre et plus sale. Mais ce froid ? Ce n’était pas normal. Cette puanteur non plus, faite de vinasse et de sueur rance…

Il sursauta, soudain beaucoup plus réveillé, mais avec une migraine lancinante, clignant des yeux incrédules en regardant autour de lui.

Jean-Marie était dehors, ou plutôt sous l’arche d’un grand pont, sur un quai de Seine qu’il reconnut immédiatement dans le jour grisâtre. Le pont de l’Alma. Le jeune homme était emmitouflé dans un sac de couchage épais, qui n’avait pas connu de lavage digne de ce nom depuis pas mal de temps. Plusieurs plaques de carton moisi lui tenaient lieu de matelas, l’isolant tant bien que mal des pavés humides du quai. Il portait plusieurs épaisseurs de lainages tout aussi puants, un bonnet en polartec et des gants mités laissant voir ses ongles longs, noirs de crasse. La tocante à remontoir mécanique accrochée son poignet indiquait dix heures trente.

-Ben ça y est, Dédé, tu t’réveilles ? lui cria quelqu’un.

A quelques mètres sur sa droite, un clochard hirsute émergeait d’une petite tente rapiécée, en compagnie d’un corniaud à l’œil vif.

-Fait pas chaud, hein, mon vieux ? Si j’avais eu plus de place dans mon palais, j’vous aurais bien logés, avec ta moitié, mais là, hein…

Jean-Marie n’y comprenait rien. De quoi ce mec pouvait-il bien lui causer ? Il jeta un œil sur sa gauche, et découvrit une autre créature en train de s’extirper d’un duvet aussi repoussant que le sien. C’était une femme à l’âge incertain, au visage chiffonné par la fatigue et l’abus de boisson. Des mèches de cheveux gras et roussâtres dépassaient de son gros bonnet de laine rouge. Elle eut un hoquet de peur en le voyant.

-Mais qu’est-ce que je fais là ? Qui êtes-vous ? coassa-t-elle.

-Et…et vous ? bafouilla-t-il, complètement désorienté.

La femme hésita un instant, avant de lâcher, comme une énormité :

-Mylène…Mylène de Castelbougeac.

*

Jean-Marie se frotta les tempes, puis le haut du nez.

« Je vais me réveiller. C’est un putain de cauchemar. Ou une blague à la con. »

-Je connais bien Mylène, et je suis désolé de dire que vous ne lui ressemblez en rien. En tout cas, moi, c’est Jean-Marie Fondar.

La femme éclata d’un rire nerveux qui révéla une dentition trouée.

-Oh, ça c’est excellent ! Bon allez, M. Fantômarx, arrêtez vos conneries, ça ne marche pas !

Jean-Marie la fixa intensément, n’osant admettre ce qu’il était en train de réaliser.

-Dites-moi, vous n’étiez pas hier soir enfermée dans une sorte de repaire souterrain, une cave voûtée avec tout le confort d’un bon hôtel ?

-Heu, oui, mais comment…

-Vous avez vu Fantômarx sur votre écran géant de télé, vous demander ce que vous souhaitiez manger pour le réveillon. L’un des malabars encagoulés qui vous servaient de geôliers vous a apporté un excellent repas sur un chariot de restaurant.

« Moi, c’était un cari langoustes », songea Jean-Marie, qui avait vécu une partie de sa jeunesse dans l’île de la Réunion, petit paradis gastronomique (entre autres merveilles).

-Mais oui, mais…

-Vous aviez à peine fini de manger, que vous avez eu une terrible envie de dormir…Et vous vous êtes assoupie sur un canapé, ou un lit, enfin ce que vous aviez dans votre cellule.

-Mais comment savez-vous tout ça ? Vous étiez prisonnier, vous aussi ?

-Exact…vous avez un miroir ?

Elle le regarda, interdite, puis chercha autour d’elle. Deux sacs à dos de marque, qui avaient connu des jours meilleurs, étaient posés tout près d’eux contre la paroi de pierre qui montait vers le tablier du pont.

-Je…je ne sais pas si c’est à nous, fit-elle, l’air éperdu.

-Je crains bien que si. On va fouiller ça. Je prends celui-ci…

L’autre clochard les interpella joyeusement. Il s’affairait devant sa tente autour d’un petit réchaud à gaz, son chien tournant autour de lui en remuant joyeusement la queue.

-Ben alors, les amoureux ? C’est dur, les lendemains de fête ? Allez, j’vous prépare du café !

Mylène ouvrit le sac le plus proche d’elle, pinçant le nez sous l’odeur infecte qui s’en dégageait. Elle remarqua au passage l’état pitoyable de ses mains : rouges, crevassées, tavelées de taches de vieillesse précoces. Quant aux ongles, c’était l’abomination !

Jean-Marie sortit fébrilement de pauvres effets du sac qu’il s’était désigné : une trousse de toilettes, un paquet de biscuits secs, une demi-bouteille d’eau, un harmonica, une canette de bière à 8°…enfin, dans une poche latérale, il découvrit un portefeuille en cuir fatigué. Il allait l’ouvrir, quand la femme poussa un cri d’horreur. Elle venait de trouver un petit miroir ébréché, et d’y contempler son visage.

-Fais-voir ! s’écria-t-il en lui arrachant le miroir pour effectuer la même vérification.

Il faillit lâcher l’objet à la vue de la sale gueule qui était désormais la sienne. Tremblant comme une feuille, il ôta son bonnet et livra à la froidure de décembre son crâne presque chauve où de vilaines mèches grises se battaient en duel. Celle qui prétendait s’appeler Mylène pleurait à gros sanglots, mais son apparence repoussante l’empêcha de la prendre contre lui pour la réconforter. Jean-Marie, dans un état second, ouvrit le portefeuille pour un bref inventaire. Environ quinze euros en monnaie, trois tickets de métro, un plan de Paris, un permis de conduire et une carte d’identité encore valide au nom d’André Delpeyrat, dont la photo correspondait, en bien plus propre, au visage qu’il avait contemplé dans le miroir.

Il y avait aussi une petite enveloppe blanche sur laquelle on pouvait lire, dans une belle écriture à la plume :

A l’attention de M. Fondar.

Jean-Marie déchira furieusement l’enveloppe pour y lire ce bref message dactylographié :

Cher Monsieur Fondar,

Je vous avais promis la liberté pour Noël, c’est chose faite. Toutefois, je vous offre également, ainsi qu’à votre charmante collègue, la possibilité de vivre une nouvelle vie, un peu comme dans ces émissions populaires qui encombrent les petits écrans. Vous aurez désormais la chance de partager le quotidien des exclus de cette belle société libérale et capitaliste que vous avez si vigoureusement défendue tout au long de votre carrière journalistique. Sachez qu’il est en mon pouvoir de mettre fin à cette enrichissante expérience, mais que sa durée dépendra de ma seule fantaisie. Bienvenue dans la France d’en bas !

Cordialement,

FANTÔMARX

*

Il était un peu plus de six heures du matin, heure locale, quand le commissaire Labrousse se permit de prendre un peu de repos dans sa chambre de l’hôtel Imperial, à deux pas de l’Ipanema Palace. Il put enfin se débarrasser de son costume poussiéreux et prendre une bonne douche, après de longues heures qui lui avaient semblé être les plus pénibles de sa vie.

Une unité de la police anti-émeute brésilienne était parvenue à dégager son équipe du maelström infernal qu’était devenu le quartier de la place Manuel Campos de la Paz, après l’effondrement de l’immeuble. Le GASP n’avait eu à déplorer là-bas que trois blessés légers, tous atteints par des coups de feu tirés d’on ne savait où. Des fourgons blindés, sirène hurlante, avaient amenés les Français au QG de la police de Rio, d’où Labrousse et ses coéquipiers purent se tenir au courant de la suite des évènements. Le courant avait été rétabli au bout d’une heure, au grand soulagement de tout le monde, en-dehors bien sûr des émeutiers et des pillards qui s’en étaient donnés à cœur joie.

Le vieux commissaire et son adjoint Pourteau avaient fini la nuit à l’hôpital militaire de la ville, au chevet des gars victimes du raid contre l’Ipanema Palace qui s’était soldé par l’enlèvement du « président » Zarkos. L’équipage de l’hélico crashé n’avait à déplorer que des blessés plus ou moins graves, avec moult contusions, fractures et traumatismes. L’eau de mer et le sable avaient fort heureusement étouffé tout risque d’incendie, par ailleurs limité par la mise hors service de tous les circuits de l’appareil. Le capitaine Bourrel s’en tirait avec un bras cassé et une cheville foulée.

Plus étonnant encore était le cas des snipers embusqués sur les toits. Ils avaient été retrouvés inconscients, mais purent reprendre leurs esprits une heure plus tard, se plaignant de vertiges, nausées et maux de tête allant en s’estompant. Personne ne s’expliquait encore, sinon par l’usage d’un quelconque « rayon de la mort » non létal, ce qui avait bien pu leur arriver.

Quelque chose de semblable avait dû être appliqué aux gorilles de la suite présidentielle, découverts dans le même état. L’un d’eux témoigna de l’arrivée par l’escalier de service d’un employé de l’hôtel prétendument chargé d’apporter une lampe torche au président, peu après la panne générale d’électricité. Les gardes du corps n’avaient eu le temps que d’entrevoir un bref clignotement jaune avant de s’évanouir.

Enfin, il avait fallu se rendre à l’évidence, Fantômarx avait réussi son coup. A l’aide d’un hélicoptère MD 520 volé à la police en profitant de la confusion créée par la panne de courant et le début des fusillades aux quatre coins de la mégapole, les complices de ce salopard s’étaient envolés avec Lucas Zarkos et les deux journalistes. Le récit d’Alicia da Cunha, retrouvée dans les pommes au bord de la piscine, permit aux enquêteurs de se faire une idée du mode opératoire des ravisseurs. Il s’agissait d’une méthode classique bien connue des commandos d’élite. Par une pression et une torsion des cervicales d’une personne prise par surprise, on pouvait neutraliser celle-ci, la laissant groggy ou raide morte selon la force employée. Il fallait néanmoins un certain doigté et pas mal d’entraînement.

Le dernier renseignement collecté par Labrousse avant de regagner sa chambre concernait la drogue administrée au président par Jean-Marie Fondar, ou celui qui se faisait passer pour lui. L’analyse toxicologique délivrée par le spécialiste du GASP était formelle :

« C’est une substance chimique, un euphorisant et un aphrodisiaque subtil, mais très puissant. Le type qui ingère ça perd toute vigilance et se fait complètement manipuler. En clair, il se retrouve avec une bitte à la place du cerveau. Je peux vous donner les références techniques et le processus d’action, mais c’est assez emmerdant… »

Francis Labrousse sortait de sa splendide salle de bain, vêtu d’un confortable peignoir bleu ciel, quand le téléphone satellite posé sur une table basse se mit à couiner. C’était un appel crypté et urgent de Samuel Barcino, qui le contactait depuis son bureau de la DCRI à Levallois-Perret. Là-bas, ça devait chauffer dur pour un 25 décembre !

-Labrousse ? Il y a du neuf…et pas du bon. Le président est mort. Le vrai président.

Le vieux commissaire faillit en avaler sa courte barbe.

-M…mort ? Mort comment ?

-Une crise cardiaque, semble-t-il. Son épouse l’a découvert sans vie il y a une demi-heure. Cela a dû lui arriver pendant son sommeil. La Villa Petacci est sous surveillance renforcée, sans en faire trop pour ne pas alerter les médias. J’ai expédié là-bas un médecin légiste pour un premier examen du corps avant rapatriement à Paris pour une autopsie complète. Charles Guéhaut et Henri Nagant sont prévenus et repartent immédiatement en France. Evidemment, secret défense total.

-Vous captez toujours les signaux de la balise posée sur…sur l’ « autre » ?

-Oui…je fais envoyer les données sur le portable de Pourteau. De ce côté-là, apparemment, tout fonctionne comme prévu. Le satellite espion nous a permis de localiser la cible, mais ça ne va pas être simple de récupérer notre homme.

Labrousse entendit un profond soupir.

-Nous sommes dans la merde, Labrousse. Notre chèvre est maintenant notre seul et unique président. Vous devez le retrouver vivant, et le plus vite possible ! C’est bien clair ?

-On ne peut plus clair…

« Le salaud, bougonna Labrousse en coupant la communication, il pourrait au moins s’excuser de m’avoir engueulé comme du poisson pourri, hier soir ! »

*

Le café du clochard tenait largement du jus de chaussette, mais il avait le mérite d’être chaud. Mylène et Jean-Marie tenaient leurs quart brûlants dans leurs mains crevassées, tremblant au moins autant sous l’effet du froid que du choc de leur effroyable découverte. Mylène avait également trouvé dans son sac un billet doux de Fantômarx, à peu près de la même teneur que celui destiné à son collègue. Elle était tombée aussi sur ses papiers d’identité, qui lui apprirent qu’elle s’appelait désormais Josette Delpeyrat, épouse d’André Delpeyrat, anciennement Jean-Marie Fondar.

-Décidément, ce fumier ne m’a rien épargné, renifla-t-elle. Non seulement je suis devenue pauvre, vieille et moche, mais en plus je suis ta femme !

-Content de voir qu’il te reste un peu d’humour, grinça Jean-Marie. Mais tu dois regretter à présent d’avoir refusé mes dernières propositions. Tu aurais vraiment profité de la vie avant de plonger dans l’enfer…

-Crétin !

D’un commun accord, ils avaient décidé d’éviter de se rendre ridicules en refusant d’assumer leur nouvelle identité, et de tirer le maximum de renseignement de leur compagnon de misère.

Le bonhomme n’était pas en meilleur état qu’eux, mais affichait un moral surprenant, irradiant même d’une gentillesse qui transcendait un physique peu amène au premier regard.

-Alors, pas mauvais la lavasse de Nanard, hein ? Putain de Noël, mais joyeux Noël à vous deux quand même ! Il doit me rester un peu de cognac pour arranger ça…

-Volontiers, fit Jean-Marie, je sens que je vais en avoir besoin.

Mylène déclina l’offre, et alla chercher dans son sac un biscuit pour le chien qui tournait autour d’eux, quémandant de quoi grignoter.

-Elle est gentille avec mon Mickey, Zézette…Je crois qu’avoir un clebs lui f’rait plaisir. J’connais quelqu’un qui…

-Laisse tomber, grommela Jean-Marie, elle a pas trop le moral, mais on ne tient pas trop à embarquer une pauvre bête dans notre galère.

Il prit une profonde inspiration.

-Dis-moi, je vais te sembler bizarre, mais j’aurais pas mal de questions à te poser.

-Envoie les questions, mon pote, répondit Nanard en s’envoyant une lampée de café au cognac.

Mylène revint s’asseoir auprès d’eux ; le petit bâtard blanc et noir en fit autant de manière assez comique, fermant le cercle autour du réchaud. La brume glacée se dissipait aux alentours sous les assauts encore timides du soleil hivernal. La sourde rumeur de Paris montait de part et d’autre du fleuve, moins forte en ce jour de congé.

-Voilà, hum…Jean-Marie se racla la gorge. Mylène et moi souffrons depuis cette nuit de quelque chose de curieux.

-Ouais, c’est le blues de Noël, trancha Nanard. Putain de Noël ! Tous les ans depuis que j’ suis dans la rue c’est comme ça !

-Non, non, intervint Mylène, c’est différent. J…Dédé et moi sommes devenus comme amnésiques.

Nanard la fixa d’un air stupéfait, la tête penchée de côté comme son chien.

-Elle veut dire que nous avons perdu la mémoire, dit Jean-Marie.

Nanard lui jeta un regard courroucé :

-Merci, j’le vois bien ! T’as déjà oublié qu’j’avais fait des études, mon vieux ! J’ai compris ce qu’elle a dit, ta moitié…Bon, de quoi vous vous souvenez, au juste ?

Mylène baissa les yeux, au comble de la confusion.

-A vrai dire, de rien…

-De rien ! C’est pas possible ! Vous buvez pourtant pas plus que la plupart des gens d’la rue que j’connais…

-Tu nous connais depuis longtemps ? demanda Mylène.

-Depuis une semaine environ, quand vous êtes venus me demander si vous pouviez vous installer ici. J’ai failli vous dire non, parce que j’étais pas sûr que Bébert allait pas revenir sur cette place. Bébert, c’était mon meilleur pote…Enfin, y avait Louis, aussi, de l’autre côté du pont…mais y z’ont disparu. D’abord Louis, puis Bébert…

Nanard renifla bruyamment, les yeux humides.

-Disparu ?

-Ouais, avec cette putain de nouvelle association qui leur propose de passer la nuit au chaud, avec un bon repas, tout ça…Les types de la rue qui acceptent, on les revoit plus.

-J’ai entendu parler de cette nouvelle association humanitaire, dit Mylène. Les enfants de Robin des Bois. Ils se vantent de réinsérer vraiment les SDF dans leurs centres tout neufs. Il y a eu une polémique sur leur financement.

-J’les préférais à leur début, quand ils distribuaient des tentes gratos, grogna Nanard. Enfin bon, hier soir, un de leurs groupes est passé, avec une camionnette, et ils nous ont proposé d’aller fêter Noël dans l’un d’leurs putains de foyers. Vous avez accepté, moi j’ai gueulé qu’j’irai pas, que j’leur faisais pas confiance…y se sont marrés, les cons, y z’ont dit : « vous avez vraiment tort, Monsieur, vous ne savez pas ce que vous perdez ! » Tu parles. Et vous êtes partis avec eux…Franchement, j’étais sûr de pas vous r’voir, vous aussi.

-Et ensuite ? s’enquit fébrilement Mylène.

-Ben, c’était en pleine nuit…y’ a eu la lumière des phares, le bruit d’leur camionnette. Des voix. Mickey a aboyé, mais j’étais trop dans l’coaltar pour vérifier c’que c’était. Puis là, c’matin, vous étiez là.

Jean-Marie avala une gorgée de café, et dit enfin :

-Pourquoi pensais-tu qu’on ne reviendrait pas ?

Nanard se fit encore plus sombre :

-Parc’qu’après le départ de Bébert, j’ai demandé à une patrouille de ces putains d’ « Robins des bois » des nouvelles de mon pote. Y m’ont dit : « pas de problème, Monsieur… » Et deux jours après j’avais une lettre de Bébert, apportés par ces mêmes gars, qui m’encourageait à venir le rejoindre dans un de leurs centres : « Viens, mon gars, ici c’est génial, et tout et tout… »

-Et alors ?

-La lettre était super bien écrite, tapée comme il faut, signée de lui. Mais c’est là qu’ça clochait…Bébert, il a jamais su lire, ni écrire. Quelqu’un l’a fait pour lui. Non, croyez moi, les amoureux, le Nanard, y connaît bien l’monde de la rue, et il en a vu de drôles, mais là, cette histoire, j’la sens pas. Et c’est pas l’fait d’vous retrouver amnésiques qui va m’rassurer !

*

Le commissaire Labrousse fut introduit à huit heures pétantes dans le vaste bureau du colonel Nelson Fernandes, au dernier étage du rutilant building des Serviços secretos brésiliens. Le mobilier mélangeait le high tech et le style colonial, avec des grands tableaux abstraits aux murs. Il fallait pas mal d’imagination pour deviner sur l’un d’eux le Coupeur de cannes annoncé par son titre. La baie de Guanabara étincelait en arrière plan, au delà d’un panneau coulissant en verre polarisé.

-Feliz Natal, Francis ! s’exclama joyeusement le maître des lieux en serrant la main du Français.

En apparence, Nelson Fernandes était une caricature d’officier sud-américain, avec son teint mat, ses yeux noirs, son crâne dégarni, ses rouflaquettes et ses moustaches bien cirées. La première fois que Labrousse l’avait rencontré, dix ans plus tôt, lors d’un congrès d’Interpol à Zürich, il lui avait tout de suite fait penser au Général Tapioca de Tintin. Mais le type était un homme à la fois sérieux, courtois et plein d’humour, parlant parfaitement français. Et de surcroît à peu près honnête, ce qui était rare, autant dans le métier que dans son pays d’origine. Ils avaient très vite sympathisé et gardé le contact au fil des ans.

-Ouais, joyeux Noël si on veut, mon cher Nelson, répondit Labrousse en posant son ordinateur portable sur le bureau en bois rouge du colonel. Je ne te demande pas si tu as bien dormi…

-Oh non, fit le Brésilien qui paraissait néanmoins en pleine forme. Tu veux du café ? Ça et le sexe, c’est ce qu’on produit de mieux dans ce pays ! Héhéhé !

Les deux hommes s’installèrent confortablement dans de merveilleux sièges à roulettes. Labrousse avala une gorgée du breuvage brûlant, avant de mettre en batterie son appareil. Fernandes lui fit un rapide compte-rendu des émeutes de la nuit, que les médias du Monde commençaient à relater partout sous des titres aussi subtils que « Noël chaud à Rio », ou « Rio : la fête est gâchée… »

-Les dernières estimations de nos services nous donnent environ vingt morts, deux cent quarante blessés plus ou moins graves, des dizaines de magasins pillés. L’équivalent de trois jours de carnaval un peu chaud…mais pour une nuit de Noël, ça fait désordre. Lula est furieux.

-Vous avez pu interroger quelques-uns des émeutiers ?

-Oui, par la procédure d’urgence, si tu vois ce que je veux dire…Ce sont des pauvres types, des gamins des favelas appartenant aux gangs les plus déjantés. Ils ont reçu il y a deux semaines des stocks d’armes : kalachnikovs, RPG 7, etc, avec des munitions en pagaille, plus une prime de cinq mille dollars par tête de pipe pour foutre la merde dès que le courant aurait été coupé dans la ville. On leur a aussi promis dix mille dollars de mieux après l’opération. Heureusement que beaucoup d’entre eux n’ont pas osé passer à l’acte, et ont préféré empoché le fric et les flingues sans se faire remarquer, sans quoi le bilan eût été bien plus lourd. Mais le plus inquiétant, c’est qu’aucun de nos indics n’a pu ou voulu nous informer. On a réussi à les berner ou les faire taire.

-Mais qui, « on » ? demanda Labrousse.

Fernandes passa une main brune sur son crâne poli, l’air embarrassé.

-Difficile à dire pour l’instant. On aurait une piste du côté des cartels d’Amérique centrale, des mafieux de Colombie ou des services spéciaux vénézuéliens ou cubains. Des collègues parlent même d’un coup tordu de la CIA, qui en serait bien capable. Mais je n’y crois pas. Quoiqu’on trouve, il s’agira d’un faux nez. Je ne vois qu’une personne derrière tout ça, et tu vois très bien à qui je pense…

-Fantômarx, évidemment. Mais il n’a toujours rien revendiqué ?

-Non, du moins à ma connaissance, et c’est cela qui m’étonne. Ce qui s’est passé cette nuit est sans doute sa plus grosse opération depuis qu’il s’est lancé dans le crime, avec des moyens financiers et technologiques hallucinants, comme ce fichu rayon de la mort, qui lui a sans doute également permis de mettre en panne la centrale nucléaire d’Electro-Brazil. D’ordinaire, cet enfoiré vient toujours parader sur internet ou la télé, mais là, rien…

-C’est pourtant bien lui qui a annoncé la destruction de l’immeuble où nous avions notre QG. Si ce n’était pas sa voix, c’était bien imité. Mais revenons-en à notre président, si tu veux bien…

-Bien sûr, bien sûr ! s’empressa Fernandes. Lula m’assuré de tous les moyens possibles pour le retrouver au plus vite ; mais si l’on veut garder le secret sur son enlèvement, nous ne devons pas perdre une minute. Officiellement, Lucas Zarkos est en sécurité, barricadé dans sa suite présidentielle de l’Ipanema Palace, mais cette fable ne tiendra pas longtemps. Il faut que nous puissions collaborer à fond, sans rien nous cacher.

« Sans rien nous cacher ! » ironisa intérieurement Labrousse, qui avait reçu pour consigne formelle de ne pas révéler l’existence du sosie du président, ni évoquer cette histoire de transmuteur moléculaire dont la France souhaitait vivement s’emparer.

Labrousse ouvrit le fichier préparé par l’assistant de Pourteau, et une image satellite s’afficha sur l’écran du portable. Un petit point rouge clignotant se déplaçait, partant de Rio de Janeiro et se dirigeant vers le sud-ouest, longeant la côte avant de regagner l’intérieur des terres.

-Ce que tu vois là est le parcours, enregistré par notre satellite espion, de l’hélicoptère ayant embarqué Lucas Zarkos et les deux journalistes complices de Fantômarx. Il a dû voler très bas pour échapper aux radars.

Fernandes poussa un sifflement admiratif.

-Vos hommes ont eu le temps de marquer l’hélico avant de tomber dans les pommes ! Belle présence d’esprit !

-Non, mieux que ça. La balise a été placée sur le président lui-même. C’est un petit émetteur greffé dans sa mâchoire, sous une fausse dent, à la fois très puissant et quasiment indétectable.

Labrousse n’allait pas préciser que la malheureux Papaphiloglou, alias « Lucas Zarkos », avait été opéré sous anesthésie générale sous prétexte d’un grave abcès dentaire, et ignorait totalement l’existence de ce gadget.

-Il nous renseigne non seulement sur la position géographique du chef de l’Etat, mais aussi sur le fait qu’il est vivant ou mort. En cas d’arrêt des fonctions du cerveau, un capteur l’enregistre et le signal change de nature. Il cesserait d’être intermittent pour devenir constant.

Sur l’écran, le point rouge venait de s’arrêter en pleine montagne, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Sao Paulo.

-L’appareil a fait halte ici, expliqua Labrousse. Un quart d’heure après, le signal repart vers le sud-ouest, ou l’ouest-sud-ouest.

-L’autonomie du MD 520 est d’environ 500 km. Il a dû s’arrêter faire le plein dans une base quelconque…un bout de clairière et un camion citerne, et le tour est joué. Je ferai faire des recherches dans ce coin là, mais cela ne donnera rien.

-Sans doute…il nous refait le coup 400 km plus loin, à l’ouest de Ponta Grossa. Pour s’arrêter finalement, et pour de bon, ici…

Labrousse fit un gros plan sur la région d’Iguaçu, aux confins du Brésil, de l’Argentine et du Paraguay. Le point lumineux se situait côté argentin, au sud du Rio Iguaçu et de la route 101. Le commissaire accentua le zoom, révélant un vaste ensemble de bâtiments situé en pleine forêt, loin de toute agglomération. Lorsque le nom du site s’afficha sur l’écran, le colonel Fernandes laissa échapper un juron :

-Madre de Deu ! Francis, nous ne sommes pas au bout de nos peines !

A suivre…