mercredi 15 septembre 2010

2e volet : Chapitre 1 : Conseil des Sinistres

Paris-matin, Pari malin ! LE Quotidien gratuit. 4 janvier.

SABRINA MONUCCI RETROUVÉE !

« Portée disparue depuis l’enlèvement et le meurtre de son compagnon Norbert Pita, à l’automne dernier, l’actrice franco-italienne vient d’être libérée par un commando du RAID. La « bellissima » a passé près de quatre mois séquestrée dans la cave d’un sinistre pavillon de Seine-et-Marne. Très éprouvée moralement, mais en relativement bonne condition physique, l’actrice a été admise pour quelques jours à l’hôpital américain de Neuilly. C’est apparemment à la suite d’une dénonciation que les forces de l’ordre ont pu procéder à la libération de Sabrina Monucci, mais les milieux bien informés laissent entendre que ce ne serait que le début d’une longue série de coups de filets, en France et en Europe, visant à démanteler l’organisation du prétendu « Fantômarx ». Deux individus ont été appréhendés à l’occasion de cette opération, et aussitôt placés en détention spéciale en vertu de l’état d’urgence en vigueur depuis le 31 décembre. Il n’y aurait pas eu de blessés.
« Le Chef de l’Etat s’est rendu le premier au chevet de l’actrice, pour la féliciter de son courage et la réconforter. Quant à Laurent Carrel, l’ancien compagnon de Sabrina, qui avait très mal vécu leur séparation, il n’aurait toujours pas quitté l’abbaye des Moines Rouges, près de Captieux en Gironde. Rappelons qu’il y fait retraite depuis la sortie de son film sur le gangster Jacques Rismaine, et semble avoir fait vœu de chasteté médiatique. »

*


Le Premier Ministre Frédéric Follin se contemplait une dernière fois dans la glace de la grande salle de bain dont la déco vieillotte sentait les années 70 à plein nez. Sa femme et lui auraient bien aimé la faire rénover, mais son rôle de « Père-la-rigueur », qu’il incarnait depuis son entrée à Matignon, lui interdisait ce genre de dépenses futiles.
Ses brèves vacances de fin d’année au Maroc ne lui avaient pas permis de bronzer son visage blême, et encore moins d’effacer les poches noires sous ses yeux. Mais il avait dans le regard quelque chose de différent de d’habitude, qui le distinguait enfin de l’image de chien battu, du Droopy maltraité par son maître dont se régalaient les caricaturistes.
Il défit rageusement son nœud de cravate et jeta le bout de tissu sur une chaise.
« Tu n’as pas Conseil des Ministres, ce matin ? demanda sa femme, toujours en peignoir rose et bigoudis.
Et dire que le Président avait osé, il y a quelques mois, ricaner en comparant son épouse avec celle du Premier ministre. Ce pauvre Follin, quelconque jusque dans son mariage ! Après ce que sa classieuse « Carolina » lui avait infligé, Zarkos pouvait en rabattre… Frédéric Follin eut un léger sourire, savourant cette petite revanche avant la grande.
-Oui, il y a bien conseil ce matin. Le premier de la nouvelle année. Et celui-là va être crucial, crois-moi.
-Mais alors…ta cravate ?
-Ma cravate reste ici ! »
Plantant là son épouse interloquée, le Premier Ministre rejoignit le vestibule du grand appartement de fonction, enfila sa gabardine et se fit accompagner par l’huissier jusqu’à la cour pavée où attendaient la limousine et son chauffeur. Il n’eut qu’un bref aperçu de la froidure de janvier avant de se réfugier dans l’habitacle confortable où régnait une rassurante tiédeur.
La voiture et son escorte de motards s’engagèrent dans la circulation parisienne. D’ici quelques minutes, Frédéric Follin serait à l’Elysée. Il frémissait d’excitation contenue, se remémorant la réunion secrète qui s’était tenue hier soir dans un des salons feutrés de Matignon.
Il y avait là peu de monde, mais du beau. Les deux ténors du Parti de la Majorité Unifiée, dont Jean-Philippe Pécot, président du groupe à l’Assemblée nationale et son rival pour la direction du parti Lionel Robert, Ministre des Affaires sociales et de la fonction publique. Physiquement, on pouvait sans peine les cataloguer : le petit teigneux contre le nounours. Mais le plus méchant des deux n’était pas si facile à désigner.
Le monde des affaires était représenté par deux autres figures, la première étant la moins connue du grand public. Pierric de Récigny, consultant multicarte de nombreuses grandes entreprises et conseiller du Ministre du Budget Patrick Worms. Il était l’interface entre la majorité au pouvoir et le « Premier Club », ce groupe d’influence de la haute bourgeoisie d’affaires qui finançait plus ou moins secrètement le PMU et avait permis à Lucas Zarkos de s’emparer de l’Elysée.
Le second, Romain Pinsk, occupait obstinément l’avant-scène médiatique depuis une bonne trentaine d’années. Ce libéral dans l’âme, fils d’un cordonnier juif émigré de Biélorussie, était passé par Sciences Po et l’ENA avant de se lancer dans les affaires financières et le « consulting ». Il se faisait fort de conseiller n’importe qui sur n’importe quel sujet, et bluffait pas mal de monde en usant de son parcours exemplaire et de sa culture époustouflante. Il pondait un bouquin tous les ans, tournant presque toujours autour du même thème : la mondialisation heureuse. Pour lui, nous vivions dans le meilleur des mondes possibles, régi par une Pax americana dont il était un fervent supporter. Les mauvaises langues aimaient à dire que ses conseils étaient effectivement excellents, à condition de faire exactement le contraire de ce qu’il préconisait, mais son crédit restait intact dans le petit monde des décideurs et des bien-pensants.
Lucas Zarkos, qui avait reconnu en lui un esbrouffeur de sa trempe, l’avait admis à sa cour peu avant son élection, et il passait pour le quatrième homme du pouvoir après Guéhaut et Nagant, les premiers conseillers du Chef de l’Etat. Pinsk avait eu rendez-vous avec Zarkos le matin-même, et en était sorti tellement bouleversé qu’il avait pris l’initiative d’appeler le Premier Ministre pour organiser en urgence cette réunion clandestine.
« Messieurs, je vous remercie d’être venus, commença Pinsk en tripotant nerveusement son stylo qui se reflétait sur la table Louis XVI brillamment cirée. Je ne souhaitais pas trop en dire par téléphone, mais vous allez comprendre pourquoi…Le Président a pété les boulons !
Tandis que Follin restait imperturbable sous la mèche brune qui barrait son front, Pécot fronça les sourcils, et le gros Robert roula des yeux faussement effarés. De Récigny se contenta de hocher gravement la tête.
-C’est si grave que ça ? s’enquit Robert. Il veut vraiment faire ce qu’il a dit le 31 décembre ? Le retour de l’Etat, la défense ses services publics, la nationalisation des banques, le départ de l’OTAN ?
-Je me disais bien que là, il était allé trop loin ! s’exclama Pécot. Passe encore son blabla sur la moralisation du capitalisme, au Brésil ou à Davos. Tant qu’il s’agissait de donner des leçons de morale à l’étranger…mais là, c’est de la France dont il s’agit ! Et il veut vraiment le faire ? Tout ce qu’il a dit ?
-Tout, et même plus, répondit sombrement Pinsk.
-Plus ? Récigny s’était raidi. Comment ça, plus ? Plus de quoi ?
-Plus de fonctionnaires, pour commencer. Il veut revenir sur toutes les suppressions de postes annoncées dans l’éducation, la recherche, les hôpitaux, la justice, la police, etc…
Il y eut un silence de mort. Tous les autres échangèrent un regard désolé.
-Côté services publics toujours, poursuivit Pinsk, abandon également du programme de privatisation progressive de l’énergie, de la poste et du transport ferroviaire. L’Etat reviendra en force dans la réglementation des tarifs de téléphonie, avec obligation de baisser les prix pour les fournisseurs privés. France Télécom redeviendra une entreprise d’Etat.
-Mais c’est de la folie ! s’exclama De Récigny. Comment veut-il financer tout ça ?
-Par l’impôt. Le bouclier fiscal sera supprimé, ainsi que la plupart des niches bénéficiant aux plus grosses fortunes. Les biens des exilés fiscaux seront saisis et nationalisés.
De Récigny était devenu blanc comme un linge. Il se sentait vraiment mal, et avala précipitamment un cachet avec un grand verre d’eau.
-C’est du bolchevisme ! rugit Pécot. C’était bien la peine de combattre ce Fantômarx, si c’est pour appliquer ses idées en fin de compte !
Pinsk secoua la tête, grimaçant un drôle de sourire.
-Je vous rappelle qu’officiellement, Fantômarx ne serait qu’un coup monté par un consortium financier, avec le soutien des services secrets américains.
-Mais vous n’y croyez pas, n’est-ce pas ? demanda Follin.
-Disons que j’ai bien du mal à avaler cette histoire…Dès que le Président a fait ses déclarations fracassantes, le 31 au soir, je me suis empressé d’activer mes antennes à Washington et dans les grandes banques d’affaires. Ils tombaient des nues. A aucun moment ils n’ont envisagé de déstabiliser Lucas Zarkos, pas plus qu’ils n’avaient entendu parler de son projet…hum…bolchevique, comme vous dites.
-Ils n’allaient pas non plus se vanter d’avoir ourdi un truc pareil, objecta Lionel Robert, même devant vous !
-C’est juste, reconnut Pinsk, mais je les fréquente depuis tellement longtemps que je peux déceler chez eux le moindre signe de mensonge. En général, je ne suis pas déçu ! Mais là, ils ne m’ont jamais paru plus sincères. Il peut s’agir d’une vaste manipulation, mais je commence à me demander à qui elle va profiter au final. En tout cas, je suis très inquiet.
Pierric de Récigny avait repris des couleurs, et intervint d’une voix tranchante :
-Moi, je me sens tout simplement trahi, et avec moi, tous les membres éminents du Premier Club. Nous n’avons pas soutenu la candidature de ce petit monsieur pour revenir aux pires heures du Programme commun de la gauche des années 70 ! Je me fiche de ce prétendu complot. Zarkos a perdu la tête. Il faut nous en débarrasser ! Et vous n’avez pas pu le raisonner, Romain ? Vous qu’il écoute toujours ?
-Qu’il écoutait, vous voulez dire…Il m’a traité de parasite et m’a fichu dehors. Je ne suis plus son conseiller. Lorsque je lui ai dit que les agences de notation financière allaient lourdement sanctionner la France, il a même éclaté de rire ! Et il m’a traité de…de…de « larve » !
Sa voix s’était étranglée.
Pour la première fois depuis qu’ils le fréquentaient, les autres purent discerner une petite larme au coin de l’œil de Romain Pinsk. Un peu gêné, Lionel Robert prit la relève :
-Si ça peut vous consoler, vous n’êtes pas le seul à sauter. Le nouveau dir’cab’ du Président, Cédric Dubois, a fichu dehors toute la vieille garde élyséenne. Même Guéhaut et Nagant ne sont pas sûrs de garder leur place. Tôt ou tard, le gouvernement valsera.
Tous se tournèrent alors vers Frédéric Follin, qui buvait du petit lait en silence. Son grand soir, enfin ! Toutes les avanies, les couleuvres avalées depuis qu’il avait accepté son poste de faire-valoir auprès de l’ « hyper-président », tout cela allait trouver sa récompense.
-Et bien, messieurs, qu’attendez-vous de moi ? Je dois vous dire tout de suite que ma fidélité au Chef de l’Etat est quelque chose de difficile à négocier…
Jean-Philippe Pécot fit un geste d’agacement :
-Bon, bon, ça va, Frédéric. Pas de ça avec nous ! Tous les sondages d’avant Noël vous placent devant Zarkos, et nos électeurs vous gardent leur confiance. Ils en avaient déjà marre de son côté bling-bling et de son agitation futile. Mais là, la coupe est pleine. Il nous a trahis, ou il a pété les plombs à la suite de ce qui lui est arrivé, peu importe…Il faut arrêter les dégâts. Nous serons tous derrière vous ! Sans parler des médias sérieux, de la commission européenne, et j’en passe…
-Tous ? insista le Premier Ministre en jetant un œil sarcastique au gros Lionel Robert.
-Tous, affirma ce dernier d’un air un peu moins faux-cul que d’habitude.
-Alors, mettons au point notre stratégie pour le Conseil des Ministres de demain. Pour une fois, je crois que cette cérémonie va servir à quelque chose !

*

Les gardes républicains qui montaient la garde sur le perron de l’Elysée paraissaient encore plus sinistres que d’habitude, à l’image de ce matin gris. L’huissier à la mine pincée qui accueillit Frédéric Follin ne put s’empêcher de lui faire remarquer sa grave faute protocolaire.
« Heu…je crois que vous avez oublié quelque chose, Monsieur le Premier Ministre…
-Quoi donc ? La cravate ? Ah oui, et alors ?
L’huissier faillit avaler sa chaîne dorée devant tant de désinvolture.
-Mais…mais…
-Il voulait la rupture, l’autre, non ? Et bien il va l’avoir ! Je suis le dernier arrivé, je crois ? Que dis-je, je crois…j’espère ! Allez, on y va mon ami, on y va !
Frédéric Follin ne s’était jamais autant amusé, et suivait à grands pas le pingouin qui trottinait à vive allure le long des couloirs, complètement déboussolé par cette violation des règles les plus élémentaires du protocole élyséen.
Il fit son entrée dans la salle du Conseil, toute en dorures et boiseries prétentieuses. Le gouvernement avait pris place autour de la grande table, chaque ministre ayant sagement attendu avant d’ouvrir le beau dossier vert posé devant lui, à côté du rituel verre d’eau.
Un silence de plomb régnait dans la pièce, et tous les regards convergèrent vers le Premier ministre, avant de se tourner d’un même mouvement vers le Chef de l’Etat assis tout au bout de la grande table. Le grand match allait commencer, bien plus passionnant qu’à Roland Garros.
Lucas Zarkos avait bonne mine, et arborait un sourire carnassier qu’on ne lui avait pas vu depuis longtemps. Il était difficile de croire que le Président était passé si près de la mort quelques jours plus tôt. Il ouvrit le feu le premier :
« Alors, Frédéric, la cravate est en option ce matin ? Mais tu es à la bourre, je peux comprendre ! Allez, dépêche-toi de t’asseoir !
Frédéric Follin encaissa la gifle, et sentit sa belle assurance fondre à toute allure.
« Il veut te sécher tout de suite ! Il veut t’humilier, une fois de plus ! Il attaque parce qu’il est aux abois ! Te laisse pas faire ! Pense au coussin ! Pense au coussin ! »
Le coussin, comme tout le monde le savait au gouvernement, était l’accessoire indispensable de Lucas Zarkos pour paraître à la même hauteur que ses ministres lors des réunions. Un huissier le glissait délicatement sous les fesses présidentielles avant chaque séance. Un petit escabeau remplissait le même office lorsqu’il avait à parler debout, derrière un pupitre. Penser à ce coussin avait la même vertu psychologique que de penser à son supérieur assis sur la cuvette des WC pendant un entretien désagréable.
Frédéric Follin garda son sang-froid, et prit tout son temps pour s’installer, en faisant le plus de bruit possible avec sa chaise dont les pieds torsadés firent couiner le parquet ciré.
Certains ministres, parmi les plus fayots, firent assaut de mines affligées. D’autres lui envoyèrent des clins d’œil complices. Frédéric Follin n’était pas seul, et savait pouvoir compter sur la majorité de ses collègues. Et la majorité tout court.
-Vous avez raison, M. le Président. Au diable la politesse bourgeoise et les chichis protocolaires. Nous nous tutoyons hors de ces murs, n’est-ce pas ? Alors pourquoi pas ici ? Vous aimez faire du jogging et bousculer l’image hiératique du Président. A votre aise. Moi, c’est la cravate que je ne supporte plus…Mais je suppose que nous allons passer tout de suite à l’ordre du jour. Ordre du jour qui ne m’a pas été communiqué.
Les phrases étaient cinglantes, nettes et bien appuyées. Follin sentit un frisson parcourir l’assistance. Ses partisans se réjouissaient de voir le Premier Ministre montrer enfin qu’il en avait. Les autres se demandaient visiblement s’il n’était pas temps de lâcher un Président au bord du gouffre. Un partout la balle au centre !
Lucas Zarkos secoua nerveusement la tête et gloussa bêtement.
-Là tu m’épates, Frédéric. Je t’avais jamais vu comme ça. T’es finalement quelqu’un d’intéressant sous tes airs ennuyeux ! Bon allez, venons-en au menu du jour. Vous trouverez la nouvelle marche à suivre dans les dossiers posés devant vous.
-Non, dit Frédéric Follin.
-Comment ça, non ? répondit Lucas Zarkos d’une voix doucereuse. On ne veut plus travailler ? C’est la nouvelle politique que j’entends impulser qui ne te plaît pas, sans doute ?
-Exactement. C’est de la folie pure, Lucas. Une trahison envers nos électeurs et nos soutiens traditionnels. Une forfaiture à l’égard de nos engagements transatlantiques et européens. Et nous sommes nombreux ici à le penser !
Patrick Worms, Ministre du budget, vint à la rescousse du Chef du Gouvernement :
-Parfaitement. Votre nouveau programme est irresponsable ! Un véritable suicide économique ! Alors même que nous nous préparions à une douloureuse mais nécessaire réforme des retraites…
Zarkos gloussa bêtement, avec un regard de côté qui ne visait personne.
-Je m’attendais à ton intervention, Patrick, mais je me marre quand même. L’honnête homme. L’expert-comptable fait ministre. C’est tout toi, ça…Enfin, l’image que tu veux donner. Dommage que ça ne colle pas avec ce que mes services ont découvert depuis peu.
Patrick Worms déglutit péniblement, cherchant sur tous les visages un quelconque soutien. Il n’y trouva que de la gêne et de l’inquiétude.
-Où voulez-vous en venir, M. le Président ?
Zarkos fixa son Ministre comme le chat vise une souris.
-Les ordinateurs de Barcino ont parlé. Ceux de la WBEC également. Les ramifications du complot que j’ai dénoncé le 31 décembre sont maintenant à peu près toutes révélées. Et elles remontent jusqu’ici, dans cette pièce.
La stupéfiante nouvelle pétrifia le Conseil. Frédéric Follin sentit que l’affrontement lui échappait. Tous les Ministres se regardaient en chien de faïence, dans une ambiance digne du Politburo de l’époque stalinienne.
-Et…que…quel rapport avec moi ? bafouilla Worms.
-Le rapport ? Il se trouve que ton nom apparaît, avec quelques autres personnes ici présentes, dans le plan organisé par les ennemis de notre pays. Avec parfois des noms de code amusants. Toi par exemple, c’est le « trésorier ». Allusion sans doute à tes fonctions d’encaisseur pour le Parti majoritaire, et à tes magouilles avec les grosses fortunes du pays. Sous tes airs quelconques, tu étais quelqu’un d’important, on dirait…Félicitations !
Laissant Worms bouche béante et muet de stupeur, il se tourna vers Norbert Nerkouch, Ministre des Affaires étrangères, ex-star de la gauche morale passé au service de Zarkos après sa victoire aux présidentielles.
-Toi, Norbert, c’est l’ « ectoplasme »…le grand copain de la CIA.
Puis vers Jean-Loup Borlouis, Ministre de l’environnement :
-Toi, c’est le « crasseux ». J’avoue qu’ils ne se sont pas trop foulés !
Ensuite vers Justine Labarbe, Ministre de l’Economie et des Finances :
-Toi, c’est la « grue cendrée ». Sympa, et ça te va bien !
Le jeu de massacre se poursuivit avec Corinne Chabelot, Ministre de la Santé :
-Toi, c’est la « Castafiore » ! Facile… »
Il ignora le « Hôôô » indigné, à la limite du cri de poule, qu’il avait suscité chez la ministre, pour frapper verbalement sa proie suivante :
-Quant à toi, Estelle, je te laisse deviner ton surnom…
Estelle Lambin-Marie, Ministre de l’Intérieur, se dressa sur ses ergots :
-Cela suffit comme ça, M. le Président, vos insultes sont intolérables !
-Je crois que vous allez trop loin, renchérit le Premier Ministre, qui en était revenu au voussoiement. Tout ceci est ridicule et infâmant ! Je vous donne ma démission !
Lucas Zarkos frétillait d’aise :
-Que ne l’as-tu fait plus tôt, Frédéric ! Quel dommage que tu te sois laissé entraîner dans cette machination, toi aussi…
-Comment ça ? s’étrangla le Premier Ministre.
-La petite réunion d’hier soir, avec tes copains du Parti et du Premier Club... Tu t’en souviens, j’espère ? A l’heure qu’il est, tes amis sont sous les verrous en vertu de l’article 16 alinéa 14 2008, pour complot terroriste et haute trahison.
Les portes aux moulures dorées s’ouvrirent d’un coup derrière Frédéric Follin, qui se retrouva promptement encadré par deux gardes républicains dont les gants blancs s’abattirent sur ses épaules. D’autres gardes emplumés vinrent se placer derrière les six ministres dénoncés par Zarkos.
-Au nom de la République et de la Nation française, je vous mets en état d’arrestation !
Norbert Nerkouch se souvint tout-à-coup de son passé de farouche défenseur des droits de l’homme :
-Mais enfin, Lucas, voyons ! C’est ignoble ! C’est illégal !
-Oui, s’écria Estelle Lambin-Marie, un abus de pouvoir !
Le Président ricana :
-Fallait bien lire le texte, lorsque vous avez voté la révision constitutionnelle de 2008. L’article 16 modifié m’autorise à prendre toutes les mesures nécessaires à la défense de la Nation.
Frédéric Follin, livide, s’était levé :
-Chers collègues, vous assistez à une forfaiture ! Nous payons aujourd’hui notre aveuglement sur ce…cet homme !
Zarkos ignora le doigt accusateur tendu vers lui et fit un geste impatient destiné aux gardes :
-Bon, allez, allez, on va pas s’éterniser. Embarquez-moi tout ça, messieurs, merci !
-Tu ne vas pas t’en sortir comme ça ! gronda Follin tandis qu’on le poussait vers la sortie, menottes aux poignets, en compagnie de ses infortunés collègues.
Les portes se refermèrent sur le sinistre cortège, laissant le Président seul face aux autres ministres pétrifiés d’épouvante. Le silence n’était troublé que par les cris d’indignation de Corinne Chabelot qui se répercutaient dans les couloirs élyséens, de plus en plus faibles tandis qu’elle s’éloignait.
« Hôôô ! hôôô ! Mais quand même ! Quelle honte ! Hôôô ! »
-Vous savez quel était son surnom, à Frédéric ? Le « maso ». Bien vu, non ?
Zarkos considéra l’assistance d’un air nonchalant.
-Qu’est-ce que vous faites encore là, vous autres ? Marrant qu’il n’y en ait pas eu un seul, ou une seule, pour prendre la défense de ses collègues…Z’étiez tellement sûrs de leur culpabilité, ou trop lâches ? Enfin, je m’en fous. Vous pouvez ouvrir vos dossiers.
Les ministres, anéantis, ouvrirent leur chemise verte d’une main tremblante. Ils n’y trouvèrent qu’une grande page blanche, avec ces quelques mots :

VOUS ÊTES VIRÉ !!!

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