dimanche 13 juin 2010

Le projet "French experiment"

Chapitre 24 : Le projet « French Experiment ».

Paris-matin, pari malin ! (LE Quotidien gratuit) 27 décembre.
ULTRAVIOLENCE
« C’est hier, dans l’après-midi, que des voisins de la célèbre journaliste Bérénice Joly-Montagne, épouse du Ministre Jean-Loup Borlouis, ont fait la macabre découverte.
La jeune femme gisait dans son salon, horriblement mutilée et baignant dans une mare de sang, au milieu d’un désordre indescriptible.
-C’était abominable, raconte Mme D. J’avais bien entendu du bruit, quelques heures auparavant, mais jamais je n’aurais pu imaginer une chose pareille. C’est en sortant sur le palier et en remarquant la porte entrouverte que j’ai eu la curiosité d’aller voir. Mme Joly-Montagne était une dame si discrète, si élégante ! [Elle fond en larmes]
-J’ai cru que j’allais vomir, poursuit M. D., qui a suivi sa femme dans l’appartement. Lorsque nous avons vu cet homme et cette femme endormis sur le canapé, avec plein de sang sur eux et un couteau à la main, nous avons eu très peur. Mais ils ne bougeaient pas. Complètement bourrés, je me suis dit… Alors on a appelé la police.
Apparemment plongés dans un coma éthylique, les deux suspects ont été transférés dans les locaux de la police judiciaire. Une autopsie de la victime est en cours. Le président Lucas Zarkos a écourté son séjour au Brésil pour venir réconforter son Ministre du Développement Durable, devancé de peu par le Premier Ministre Frédéric Follin de retour du Maroc. »
MORT D’UN SUPERFLIC
Samuel Barcino, directeur de la DCRI, aurait été tué hier matin dans des circonstances mystérieuses sur la base aérienne de Villacoublay. Il aurait été abattu avec son garde du corps de plusieurs balles dans le dos, alors qu’il dirigeait sur place une opération relevant du secret défense, selon le conseiller spécial de l’Elysée, Charles Guéhaut. Si l’implication de Fantômarx dans cette affaire n’est pas écartée, elle n’est pas la seule piste retenue par les enquêteurs.

El Correo del Parana, 28 décembre.
« Toujours aucune trace des terroristes présumés, deux jours après leur plongeon dans les eaux du lac d’Itaipu. Les recherches intensives menées conjointement par les autorités paraguayennes et brésiliennes sont restées vaines. De son côté, le gouvernement argentin a publié un nouveau bilan humain de la terrible explosion ayant anéanti la Colonia Alemana, qui s’élèverait à plus de 300 morts et disparus, parmi lesquels Johann Von Hansel, principal dirigeant de la petite communauté, et Ulrich Pickhardt, son directeur de la Sécurité.
Les experts se perdent en conjectures sur les causes mêmes du désastre. La piste nucléaire semble abandonnée, faute de toute trace radioactive. Quant aux commanditaires de l’attentat, beaucoup doutent sérieusement de la revendication exprimée par le mystérieux Front Guarani de Libération des Misiones, à l’instar du Général Guttierrez, chargé de superviser les opérations d’enquête sur le terrain :
-Nous n’avions entendu jamais entendu parler de ce FGLM, et le voilà qui sortirait du néant avec d’énormes moyens technologiques ? C’est absurde !
-Et que pensez-vous de l’affirmation contenue dans le communiqué du FGLM, selon laquelle la Misiones Biotech Corporation, propriétaire de fait de la Colonia, se livrait là-bas à des expériences sur les être humains et servait de centre de recherche militaire en coopération avec la CIA ?
-Tout cela relève de la pure spéculation, sinon de l’affabulation totale ! La MBC est une firme civile, dont les recherches ont beaucoup fait progresser la médecine et la science contemporaines. Le fait d’avoir abrité son siège et son site principal sur notre territoire a constitué une chance pour notre pays. On a raconté n’importe quoi sur la Colonia Alemana, avec des histoires d’anciens nazis, de tortures sur prisonniers politiques…Tout cela est faux et archi-faux. La destruction de la Colonia est un désastre national, et une catastrophe scientifique mondiale ! Leurs auteurs, quels qu’ils soient, devront en rendre compte devant le tribunal de l’Histoire ! »

The Sun in the Mirror (THE british tabloïd), 29 décembre.
BUT WHERE IS CAROLINA ?
“Depuis son retour du Brésil, il n’a pas échappé aux observateurs attentifs que le Président de la République française ne s’affichait plus en compagnie de sa charmante épouse, dont l’élégance avait enchanté notre pays lors de son dernier voyage officiel en Grande-Bretagne.
N’était-il pas déjà curieux que Carola Biondi-Zarkos ait écourté si vite son séjour au Brésil pour se précipiter au chevet d’une mère pas si malade que cela, de source bien informée ?
La même source nous a également révélé que, à la veille de Noël, un mystérieux inconnu aurait été invité à la Villa Petacci, et aurait passé la nuit sur place, dans la même chambre que la chanteuse-présidente. Cela donnerait corps aux diverses rumeurs selon lesquelles le mariage de Lucas Zarkos et de l’ex-mannequin n’aurait été qu’une union de convenance à durée très limitée. La patience de Carola envers son agité et parfois grossier mari a probablement atteint ses limites. Toujours est-il que personne n’a vu celle qui est toujours la première dame de France depuis que cette dernière a rejoint le domaine familial en Italie. »

Paris-matin, pari malin ! 30 décembre.
« Des preuves accablantes viendraient confirmer la culpabilité du couple Delpeyrat, mis en examen pour le meurtre sauvage de Bérénice Joly-Montagne. D’après le témoignage d’une serveuse d’un café-restaurant, la journaliste connaissait ce couple d’anciens buralistes devenus SDF, à qui elle aurait fait offrir un copieux repas. Sans doute la victime a-t-elle invité dans son pied-à-terre parisien ses futurs bourreaux, qui lui ont bien mal rendu sa gentillesse. Si certaines zones d’ombre persistent, au dire des enquêteurs, et si le couple crie toujours son innocence, il apparaît sans doute que nous avons là un nouveau drame sordide auquel l’état-civil de la victime donne une portée nationale.
« De son côté, Jean-Philippe Pécot, président du groupe PMU (Parti de la Majorité Unifiée) à l’Assemblée nationale, a lancé l’idée d’une nouvelle loi punissant plus sévèrement le meurtre des femmes journalistes liées à des hommes politiques. Les obsèques de Bérénice Joly-Montagne auront lieu le 2 janvier à 15 heures en l’Eglise Saint Sulpice à Paris. »



Die Zotenszeitung, 30 décembre.
HEISSES SCHWIMMBAD FÜR PRÄSIDENT ZARKOS
“C’est LE buzz de la semaine sur Internet, cette vidéo postée hier par les journalistes rebelles français Jean-Marie Fondar et Mylène de Castelbougeac (Voir photos page ci-contre). Ceux-ci ont en effet réussi l’exploit de piéger le président Lucas Zarkos, en vacances au Brésil pour les fêtes de Noël, où le chef de l’Etat français (éloigné de son épouse à la réputation passablement sulfureuse) semble manifester un goût certain pour les sports aquatiques. Saluons au passage la performance journalistique de la superbe Mylène, qui a payé largement de sa personne, ainsi que les mensurations remarquables de la ravissante autochtone conviée à cette sauterie aux frais du contribuable français.
« Le porte-parole de l’Elysée se refuse pour l’heure à tout commentaire, mais la rumeur selon laquelle il s’agirait là d’un grossier montage réalisé à l’aide de trucages informatiques, ou d’un sosie du président, pourrait fort bien provenir du service de presse de la présidence. »

*

Le commissaire Labrousse fut introduit vers 17h dans le petit salon sécurisé du PC Jupiter où l’attendait le Président de la République, à vingt mètres sous terre.
Lucas Zarkos était pâle, les traits tirés, plus agité que jamais par ses fameux tics. La cure de repos prescrite par le docteur Collet n’avait été qu’un vœu pieux. Autour de la table vitrée et incrustée d’écrans d’ordinateurs étaient assises les rares personnes conviées à ce débriefing ultrasecret. Les inévitables conseillers spéciaux Nagant et Guéhaut, bien sûr. La nouvelle patronne de la DCRI, Gabrielle Lorenzini. Le nouveau directeur de Cabinet du président, Cédric Dubois, complétait l’assistance. Labrousse savait peu de choses sur lui, en-dehors du fait qu’il avait été quelque temps l’adjoint de Fernand Crémont, le précédent Dir’cab, viré le matin même par Zarkos sans la moindre explication. Comme d’habitude, aucun membre du gouvernement, ou ce qui en tenait lieu, n’avait été invité.
L’atmosphère était lourde, et Labrousse sentit tous les regards peser sur lui lorsqu’il carra ses fesses sur le siège pivotant qui l’attendait. Un siège qui avait toutes les chances d’être éjectable au vu des circonstances. Zarkos grimaça un sourire :
-Bonjour, Francis, et ravi de votre ponctualité…Vous êtes le dernier arrivé, mais c’est avec vous que nous allons débuter la séance.
-Comme vous voulez, M. le Président, répondit Labrousse qui toussa un peu pour s’éclaircir la gorge.
Il ouvrit sa serviette et en sortit son bloc-notes.
-Toujours pas d’ordinateur portable, Francis ? Vous devriez vous mettre à la page !
-Désolé, M. le Président, mais je n’ai guère confiance en tous ces engins. Si nous avons tant de mal à coffrer certains islamistes, ou notre ami Fantômarx, c’est qu’ils communiquent le moins possible ainsi, du moins pour leurs petits secrets. Par contre, ils n’ont aucun mal à pirater nos liaisons.
-J’essayais de plaisanter, Francis, mais je vois que vous êtes aussi fatigué que moi. Avez-vous récupéré vos agents ?
-Mon agent, vous voulez dire. Le seul survivant du groupe que nous avons laissé là-bas…
Il y eut un silence gêné. Ceux qui connaissaient Labrousse perçurent l’émotion qui avait pointé un instant dans sa voix.
-Il a nagé sous l’eau jusqu’à la rive brésilienne du lac d’Itaipu, sa montre GPS étanche le dispensant de remonter à la surface pour s’orienter. L’eau n’était pas assez claire pour que les hélicos et les bateaux puissent le repérer d’en haut. Arrivé au bord, il s’est planqué dans un bois près d’un champ jusqu’à ce qu’une équipe de Fernandes vienne le récupérer. Il a été débriefé et est revenu hier en France dans le même avion que Von Hansel et votre…heu…doublure.
-Mon crétin de sosie ! Avec sa bitte à la place du cerveau, il nous a bien foutus dans la merde ! Où est-il, d’ailleurs ?
-Au repos en Normandie. Il souffre de graves migraines après le traitement que…
-Il aurait mieux fait d’avoir mal à la tête avant de baisouiller devant vos caméras ! D’ailleurs, comment se fait-il que ces foutues images aient pu vous échapper, Francis ?
-Je vous rappelle, M. le Président, que l’immeuble dans lequel nous nous trouvions était piégé. Un système sophistiqué de piratage des données vidéos a pu être mis en place, surtout avec la complicité de gens hauts placés comme Barcino.
-Ouais…mais revenons à vos agents. J’avais cru comprendre qu’ils étaient deux en fin de parcours…
-Exact, mais l’autre n’était pas à nous. Elle travaillait pour Fernandes, et je peux vous dire qu’on lui doit une fière chandelle.
-Et qu’est-elle devenue ?
-D’après Fernandes, elle est hors de danger, mais il n’a pas voulu en dire plus. Je comprends, après tout ce qui s’est passé, qu’il soit un peu méfiant…
-Ouais, bon, de toute façon, on s’en fout ! Les Brésiliens sont donc OK pour Von Hansel ?
-Les clauses de l’accord leur conviennent. Ils nous laissent le « cerveau », en échange de douze Rafale gratuits, garantis dix ans pièces et main d’œuvre, et de tous les brevets liés à cet appareil.
-Durs en affaire, les bougres ! soupira Nagant.
-Je crois que ça les vaut, rétorqua Labrousse. J’avais votre accord pour cette négociation, M. le Président.
-Evidemment, et je partage votre avis. Ce que peut nous apporter Von Hansel est sans commune mesure avec le prix d’un avion, aussi coûteux soit-il. Ce génie du siècle est toujours d’accord pour collaborer avec nous ?
-Oh, il ne s’est pas trop fait prier…le courage n’est pas sa première vertu. Du moment que nous le traitons bien, il bossera pour nous sans états d’âme. Nous avons accédé à sa principale requête, à savoir faire venir sa femme en France. Elle a échappé au désastre de la Colonia, et vit maintenant à Buenos Aires. La DGSE se chargera de l’exfiltrer dès que possible. Comme elle est française, son retour au pays après la mort supposée de son mari paraîtra parfaitement naturel.
-Où pensez-vous installer Von Hansel ?
-Nous avons une liste de plusieurs sites, mais l’ancien centre d’essai des Landes, à Captieux, a la préférence des experts. C’est assez isolé, tout en disposant des infrastructures nécessaires. Et notre prisonnier ne sera pas trop dépaysé : il passera d’une colonie militarisée dans la jungle à une base militaire en pleine forêt de pins. En plus, il adore le Sud-ouest…ça manque juste de perroquets.
-Pardon ?
-De perroquets. C’est la passion de Von Hansel.
-On lui en fournira, de ces bestioles, s’il n’y a que ça pour lui faire plaisir !
-Du genre qui parle, il a insisté. J’ai là une liste…un Gris du Gabon…un Ara du Mato Grosso…un Bleu d’Amazonie…Que des espèces protégées par la CITES…
-Ouais, bon, ça va, on s’en fout, Francis ! Passons à autre chose !
Lucas Zarkos eut un mouvement de tête spasmodique et se tourna vers Gabrielle Lorenzini.
-A vous, Madame…où en est l’enquête sur Barcino ?
L’élégante dame blonde affichait une mine grave, mais on sentait affleurer une certaine satisfaction à l’énoncé de son rapport, dont les points principaux s’affichaient sur les écrans placés devant chaque participant à la réunion. Gabrielle Lorenzini avait bien travaillé, et tenait à le faire savoir.
-Cela n’a pas été facile, mais nous avons pu faire parler tous les ordinateurs de Barcino, ses téléphones portables, son agenda électronique, et épluché ses comptes bancaires. Les meilleurs hackers ont planché pour craquer les codes et débusquer les fichiers dissimulés. Nous avons aussi interpellé des dizaines de suspects, dont certains ont été soumis à des interrogatoires « poussés ». Ils ont craché des morceaux que nous avons pu mettre bout à bout.
-Et alors ?
-Et bien, c’est…accablant. Depuis plusieurs mois, Samuel Barcino touchait des sommes très importantes versées sur un compte en Suisse, par le biais d’une société écran appartenant à la World Biotech Engineering Corporation, la multinationale que nous avons à maintes reprises trouvée sur notre route depuis que nous poursuivons Fantômarx, et qui a partie liée avec la Misiones Biotech Corporation de Von Hansel.
-Et cette histoire de « Cana », la mystérieuse informatrice et ses révélations sur le transmuteur moléculaire ?
Gabrielle Lorenzini eut un petit sourire.
-Une parfaite manipulation. Barcino a bien reçu des courriels de cette « Cana », mais cela n’avait certainement pour but que d’accréditer ce qu’il voulait nous faire avaler, à savoir l’existence de ce transmuteur qui n’a jamais été mis au point.
-Exact, intervint Labrousse, ravi de voir confirmé ce qu’il avait toujours pensé. C’est également ce que nous a révélé Von Hansel. Il a travaillé longtemps sur un tel projet, mais cela n’a jamais donné que des ratages monstrueux.
-Mais alors, que signifient ces traces ADN bizarres prélevées sur Fondar et Castelbougeac avant leur départ pour le Brésil ?
-C’aurait pu être une simple erreur de manipulation en laboratoire. Rappelez-vous cette histoire en Allemagne, où la police a traqué pendant des mois une « tueuse en série » sur la base de traces ADN dont on a fini par découvrir qu’elles venaient d’une employée du labo de la police ! Mais là, c’est allé plus loin. Le laborantin mis en cause a avoué avoir trafiqué les échantillons à la demande de Barcino lui-même, qui a joué de la corruption et du chantage.
-Quel salaud !
Zarkos se tortillait sur son siège, bouillonnant de colère.
-Mais pourquoi toutes ces magouilles, bon sang !? Qui est derrière tout ça, Mme Lorenzini ?
-Nous pensons avoir reconstitué une partie de l’écheveau, M. le Président, et je vais vous le présenter. Peu après votre arrivée à l’Elysée, la WBEC a fait le choix d’installer en France l’essentiel des ses infrastructures de recherches, alléchée par les perspectives de douceurs fiscales promises dans votre programme électoral, dont la suppression de la taxe professionnelle, mais aussi la réforme judiciaire beaucoup plus favorable aux auteurs de délits financiers, d’abus de biens sociaux, etc…
-Ouais, ouais, ça va, grommela le Président, tête baissée.
-Sans oublier votre attitude beaucoup plus amicale à l’égard des Etats-Unis, pays d’origine de WBEC. Bref, par rapport aux politiques de vos prédécesseurs, vous étiez l’homme de la « rupture » que tous les libéraux et atlantistes purs et durs appelaient de leurs vœux. Mais au fil du temps, ils ont été déçus par la frilosité de vos réformes : vous n’alliez pas assez loin dans la réduction de la dette publique et des impôts, dans la déréglementation du travail, et surtout dans le domaine de la bioéthique. De son côté, la CIA et le gouvernement américain, malgré notre retour dans l’OTAN, vous reprochaient la mollesse de votre engagement en Afghanistan et votre rapprochement avec la Russie. Je ne vous cache pas non plus que le nouveau Président O’Hara ne vous porte pas dans son cœur…
-Oh, celui-là, à part faire le singe à la Maison Blanche…
Il y eut un silence lourd de gêne politiquement correcte, que Zarkos rompit d’un geste impatient :
-Ouais, bon, ça va, vous allez pas me faire un procès, non ? J’suis fatigué, moi ! Continuez, Mme Lorenzini !
La dame se racla la gorge avant de reprendre :
-La récente crise financière, qui vous a incité à tenir des discours sur le retour de l’Etat, à critiquer la financiarisation de l’économie, leur a fait craindre un virage « gauchiste » de votre politique.
-Mais c’était du pipeau, cette histoire de « moralisation du capitalisme » ! s’insurgea Henri Nagant. C’était du pur blabla à des fins de politique intérieure ! On a même aidé les banques sans aucune contrepartie, contrairement aux Britanniques, aux Allemands ou même aux Ricains !
Il resta bouche bée, un peu bête, lorsqu’il capta le regard noir du Président.
-Toujours est-il qu’ils y ont cru, reprit Gabrielle Lorenzini, surtout lorsque le projet de Grande réforme que vous préparez en secret depuis quatre mois leur a été communiqué par…heu…
-Dites-le, insista Zarkos d’une voix basse, presque accablée.
-Par votre femme, qui était dans la confidence.
Ce fut au tour de Charles Guéhaut de tiquer :
-Mais de quelle grande réforme s’agit-il ? Notre projet de démantèlement de l’Etat providence par petites touches, éventuellement accéléré sous l’impulsion des contraintes européennes ne peut en aucun cas gêner les Américains et les marchés financiers !
-C’est justement ce projet qui est remis en cause, Charles, mais je vous en parlerai plus tard, coupa le Président en un convulsif mouvement d’épaule. Continuez, Madame…
-Donc, dès que les dirigeants de la WBEC et leurs partenaires ont eu vent de votre projet, ils ont lancé le programme « F ». F comme « French Experiment », ou…
-Fantômarx ! s’exclama Nagant.
-Voilà…Le programme « F » s’inspire de divers plans de déstabilisation de la CIA, qui collabore activement avec la WBEC et d’autres entités privées. Pour mémoire, le réseau « Gladio » en Italie pendant les années de plomb, avec ses faux attentats d’extrême-gauche, ou plus récemment « Al-Qaïda » pour justifier un nouvel interventionnisme planétaire. Ils avaient d’ailleurs pensé avoir recours à cette dernière organisation pour vous frapper, mais la créature leur ayant échappé, ils sont passés à autre chose en créant de toutes pièces, c’est le cas de le dire, le personnage de Fantômarx.
« Au-delà du projet visant à vous éliminer, l’avantage présenté par Fantômarx était de ressusciter une sorte de peur des Rouges, et de discréditer à l’avance tout mouvement de contestation sociale un peu musclé, tout en cautionnant le renforcement des mesures de sécurité exceptionnelles que vous aviez commencé à prendre. En s’en prenant à des personnalités de plus ou moins grande envergure, mais de plus en plus proches de vous et en vous ridiculisant, les auteurs du programme voulaient vous pousser à l’action la plus folle. L’appât représenté par le mirifique « transmuteur moléculaire » a joué un rôle essentiel dans la phase finale du projet : vous tuer, et enlever votre sosie pour le conditionner et en faire une parfaite marionnette entre leurs mains.
-Et si j’étais parti moi-même au Brésil, en laissant mon sosie chez ma femme ?
-C’eût été exactement la même chose ! Ils vous auraient conditionné à la Colonia, et votre sosie serait mort empoisonné. Voyant que leur plan a échoué, ils abattent maintenant leurs dernières cartes avec ces journalistes pseudo-révolutionnaires et leurs révélations en-dessous de la ceinture. L’étape suivante sera certainement le dévoilement de l’existence de votre sosie…
-Ça, je m’en doutais ! Et je vois ce qu’il me reste à faire. On verra ça après…Et que voulaient-ils que je fasse une fois entre leurs mains ? Montrer mon cul à la télé le soir du Nouvel An ?
Nagant et Guéhaut échangèrent un regard gêné. S’ils avaient l’habitude des accès de vulgarité de leur patron, ce soir il battait vraiment des records. Les autres avalèrent leur salive sans broncher davantage. Le Président s’était vu mourir, presque enterré vivant. On pouvait lui pardonner certaines choses.
-Le projet « French Experiment », embraya la patronne de la DCRI, avait pour but ultime de casser cette « exception française » que notre pays incarne en Europe et dans le Monde. Notre village gaulois, si je peux dire, est ou était un empêcheur de mondialiser en rond, selon le modèle anglo-saxon. De manière plus concrète, les commanditaires du projet espéraient obtenir du nouveau pouvoir certaines facilités. Notamment des commandes juteuses de vaccins pour la WBEC avant que certains brevets ne tombent dans le domaine public, une privatisation totale des systèmes de santé et d’éducation –avec ouverture du marché aux firmes américaines-, fin du protectionnisme culturel, et une coopération totale de la France en matière de politique étrangère avec les Etats-Unis. Apparemment, ce que vous prépariez en secret, M. le Président, était en complète contradiction avec tout ceci…
-Je ne vous le fais pas dire ! coupa sèchement Lucas Zarkos en ignorant délibérément son conseiller Guéhaut qui tentait une fois de plus de prendre la parole. En tout cas, ils l’ont dans l’os ! Barcino a fait une grosse connerie en cherchant à m’achever au lieu de s’enfuir et de faire disparaître toutes les pièces compromettantes de ses archives.
C’était bien l’avis de Labrousse. Une énorme connerie, assez peu compatible avec ce qu’il croyait savoir de Barcino, qui était tout sauf un con. Mais le commissaire garda le silence, mû par un curieux pressentiment.
-Que fait-on en ce qui le concerne ? demanda Gabrielle Lorenzini.
-Je suggère de nous en tenir pour l’instant à la thèse officielle, répondit Henri Nagant. Mort en service commandé, ce qui n’est pas faux d’une certaine manière. Cela préservera l’honneur de sa famille et nous assurera une meilleure coopération de celle-ci pour la suite de l’enquête. Apparemment, ni sa femme ni ses enfants n’étaient au courant de quoi que ce soit. Mais ce sont eux qui nous ont mis sur la piste de ses deux maîtresses…
-…dont nous avons appris qu’elles étaient stipendiées par la WBEC et travaillaient à l’occasion pour la CIA, compléta la directrice de la DCRI.
-Les enflures ! gronda Zarkos. Et pour la garce qui me tenait lieu d’épouse ?
-Toujours rien, à part ce tunnel souterrain dont je vous parlais hier, qui a sans doute permis à Carola et sa mère de s’enfuir au nez et à la barbe des policiers qui encerclaient la Villa Petacci. Ce passage secret communiquait avec la grange d’une ferme en ruines, à un kilomètre de là, où l’on a retrouvé des traces de pneus. Une voiture les y attendait, et elles ont filé.
-On peut compter sur Merluscosi ?
-Le Premier ministre italien a un faible pour vous, M. le Président. Je le crois honnête, pour une fois, lorsqu’il affirme mettre tous les moyens pour retrouver votre épouse. D’autant plus qu’il a des comptes à régler avec la famille Biondi, qui lui a mis pas mal de bâtons dans les roues à l’époque où il cherchait à conquérir le pouvoir, et même par la suite en finançant les campagnes électorales de certains opposants à sa majorité. Par contre, la discrétion dont nous avons convenu jusqu’ici nous handicape dans la procédure de recherches : pas d’avis public, ni d’appel à témoins assorti de récompense, etc…
-Je suis d’accord, dit sombrement le Président. Il faut arrêter ces cachotteries et dire la vérité aux Français. De toute façon, tôt au tard, ça se saura. Je l’annoncerai moi-même demain soir !
-Et pour le sosie, et l’opération en Argentine ?
-Là, quand même, faut pas exagérer ! Nous nous sommes mis d’accord avec les Brésiliens pour ne pas faire de vagues. Par contre, nous pourrions utiliser certaines images recueillies par le commando « Houba » dans le labo de Von Hansel pour démonter le mythe « Fantômarx ».
-Mais ce serait reconnaître notre participation à la destruction de la Colonia ! protesta Nagant.
-Rien ne nous oblige à dire que cette vidéo a été tournée là-bas ! Par ailleurs, je vous rappelle que nos ennemis savent parfaitement que nous avons envoyé des hommes sur place. Si la France et le Brésil n’ont pas encore été traînés devant l’ONU par l’Argentine, c’est que celle-ci n’a aucune envie de voir déballé en place publique ce qui s’est passé dans ce coin perdu. Tout le monde se tient par la barbichette, dans cette affaire.
-Et pour Fondar et Castelbougeac ? s’enquit Gabrielle Lorenzini.
-Mettez la DGSE [Direction Générale des Services Extérieurs, la « CIA française »,NDA] sur le coup…mais pas d’exécution sans mon autorisation expresse. En attendant, discréditez-les par tous les moyens en lançant toutes les rumeurs sur leur compte, y compris les plus « trash ». Il faut faire le « buzz » avant eux, leur brûler l’herbe sous le pied !
-Mais leurs familles vont hurler…
-On s’en fout ! Fondar n’en a plus, de famille ! Quant aux Castelbougeac, ça ne leur fera pas de mal de se coltiner un peu de fumier sur leurs tapis persans !
Charles Guéhaut, qui n’en pouvait plus, lâcha soudain :
-M. le Président, j’aimerais…nous aimerions savoir enfin quel est ce plan secret qui vous a valu…qui nous a valu tant de problèmes !
Lucas Zarkos eut un drôle de ricanement, à la limite du gloussement, ses épaules tressautant l’une après l’autre. Il se tourna vers son nouveau directeur de cabinet, qui esquissa un sourire timide. Cédric Dubois avait une dégaine de major de promo de grande école, un brushing ridicule et des lunettes carrées. Il paraissait flotter dans son costard, étranglé par sa cravate.
-Avec Cédric, nous avons travaillé là-dessus depuis un moment, depuis l’époque où il est entré dans mon cabinet… Nous nous sommes inspirés de quelques-unes de vos idées, Henri…
Nagant sursauta.
-Mes…mes idées ?
-Oui, enfin…celles que vous aviez avant de rejoindre mon équipe. Vous savez, le « gaullisme social », la « souveraineté nationale »…
Il y avait pas mal d’ironie dans ce propos, mais Nagant préféra ne pas relever.
-Eh bien, je…je suis ravi de voir que cela a pu faire son chemin, bredouilla-t-il.
-Mais de quoi s’agit-il donc ? insista Guéhaut, visiblement inquiet. Excusez-moi, M. le Président, mais je trouve étrange que nous n’ayons pas été consultés sur…
Lucas Zarkos frappa du plat de la main sur la table, interrompant son conseiller et faisant sursauter tout le monde.
-Madame, messieurs, faut-il vous rappeler qui, en France, est le Chef de l’Etat ? Je ne suis nullement tenu de consulter qui que ce soit pour faire mon travail. Je choisis moi-même mes collaborateurs en fonction des sujets traités, et je suis libre d’en changer. C’est bien clair ?
L’interrogation était lourde de menaces, et s’adressait de toute évidence à toutes les personnes présentes, qui baissèrent la tête comme des gamins pris en faute. Le Président reprit la parole d’une voix soudain plus douce, presque caressante :
-Entendons-nous bien, chers amis…je suis fier de travailler avec des gens comme vous. Vous avez accompli, dans ces moments pénibles, une tâche admirable. Et vous en serez tous récompensés. Mais je suis à même de reprendre ma tâche, et cette mort que j’ai frôlé de près a renforcé ma conviction qu’il fallait changer de politique. Ce changement, je l’annoncerai moi-même aux Français demain soir, dans mon discours de fin d’année. Je vous prie donc d’attendre jusque-là. Sur ce, cette réunion est terminée, et je ne vous retiens pas plus longtemps…
Labrousse retrouva avec plaisir la fraîcheur de l’air libre dans la cour d’honneur de l’Elysée. Les pavés et les limousines trempés de pluie luisaient sous l’éclat des lampadaires.
Il regarda en souriant les deux conseillers partir en bougonnant vers leurs Citroën noires de fonction.
« Heckle et Jeckle, les deux joyeux corbeaux, nous font une crise de jalousie ! songea-t-il.
Comme Gabrielle Lorenzini passait à sa hauteur avant de plonger dans une grosse Renault ronronnante, il l’interpella soudainement :
-Excusez-moi, Madame, mais quelque chose me chiffonne, et j’aimerais avoir votre avis.
-Oui ? fit Gabrielle avec un charmant sourire.
Le vieux Labrousse la trouva soudain très belle, débarrassée de la raideur affichée dans le salon-bunker de l’Elysée.
-Quelque chose m’échappe dans le plan de ceux qui ont voulu tuer le Président. Pourquoi avoir utilisé cette trétodo, tédroto…
-Cette tétrodotoxine, corrigea Gabrielle gentiment.
-Oui, enfin ce poison paralysant, plutôt que quelque chose de plus radical ?
La belle dame prit un air dubitatif.
-Je me suis posé la même question que vous, commissaire. C’est effectivement bizarre, et je ne me l’explique pas autrement que par une forme de sadisme. A moins que…
-A moins que ?
-A moins que ceux qui ont fait ça n’avaient pas vraiment l’intention de tuer.
-Mais pourquoi donc ?
Gabrielle était arrivée à sa voiture, et le chauffeur lui ouvrit la portière à laquelle elle s’appuya :
-Je pense que nous aurons l’occasion de nous revoir pour en parler, commissaire. Pour l’heure, je suis épuisée et vous aussi certainement.
Le commissaire prit cela pour une fin de non recevoir, et préféra briser là par une banalité quelconque :
-Vous avez raison…toutes ces aventures ne sont plus de mon âge, comme dirait l’autre. Un bon grog et au lit !
Gabrielle éclata de rire :
-Vous ne faites pas votre âge, commissaire ! Que diriez-vous d’aller boire autre chose qu’un grog ?
Labrousse en resta presque sonné.
-C’est que…j’ai ma voiture là-bas…
-Dites à votre chauffeur de nous suivre, répliqua vivement Gabrielle. Vous ne croyez pas que nous avons mérité un peu de détente, vous et moi ? Défense de parler boulot. Enfin, de ce boulot là…Mais j’aimerais beaucoup que vous me racontiez certaines vieilles affaires que vous avez résolues autrefois !
Labrousse se dandinait d’un pied sur l’autre, gêné comme un étudiant en train de se faire draguer et n’osant croire à sa bonne fortune.
-Eh bien, fit-il, je crois que…que personne ne m’attend ce soir.
-Moi non plus, répondit joyeusement Gabrielle. Alors qu’attendez-vous ?

A Suivre…

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