dimanche 7 mars 2010

Chapitre 18 : Under Fire.

Errata : la mort du père d’Ulrich, dans l’épisode précédent, est due à une embolie. La « thrombose » dont parle son fils désignant la formation d’un caillot dans un vaisseau sanguin. Vous allez dire que je chipote, mais je suis un auteur sérieux ! Sérieux et parfois distrait, car un subordonné du même Ulrich change de nom dans un même paragraphe du 17eme épisode, passant de « Trujillo » à « Fernandez »…faudrait savoir. Eh bien vous le saurez, il s’appelle Trujillo.


L’homme au masque rouge marchait d’un pas aussi tranquille qu’implacable vers ses futures victimes, sa barre de fer à la main.
« Nous allons devoir nous séparer, chuchota Sarah au capitaine Terrasson. Vous croyez pouvoir tenir le coup ?
-Je pense bien…vous avez vu l’extincteur près de la porte ?
-Oui. Je m’en occupe. »
La jeune femme bondit vers l’appareil accroché au mur, à droite de la double porte. Fantômarx comprit immédiatement quelle était son intention, et se précipita sur elle en faisant tournoyer son arme improvisée. Mais Jackson Mitchell, jusque là complètement immobile, s’interposa en hurlant :
« Don’t touch this pretty young thing ! »
Son cri fut suivi d’un bruit mat, lorsque Fantômarx frappa l’Empereur du funk comme un batteur de base-ball cognant à la volée. Heurté au cou avec une violence hallucinante, Jackson eût été décapité s’il avait été un être humain normal, mais ses vertèbres en titanium encaissèrent le choc. Il fut néanmoins balayé à deux mètres et alla percuter le mur.
« Hou ! » piailla-t-il, rebondissant contre l’obstacle. Le cou enflé et écarlate, il semblait avoir gardé toute son énergie et sauta d’un bond prodigieux sur son adversaire. Evitant un nouveau coup de barre de fer, il s’accrocha au dos de Fantômarx tel un koala sur sa mère, et lui cacha les yeux de ses mains rosâtres.
« Coucou, qui c’est ?
-Dégage de là, grotesque histrion ! rugit l’homme au masque rouge, qui tenta alors d’abattre son arme sur le crâne de Jackson, ne réussissant qu’à se cogner lui-même.
Le choc lui brouilla quelque peu les circuits, et il se précipita à reculons vers le mur pour y écraser le parasite arrimé à son dos. Jackson se dégagea au dernier moment d’un souple coup de reins, laissant Fantômarx heurter la paroi de béton de tout son élan. La puissance de l’impact laissa croire à Sarah et Terrasson que le cyborg allait s’enfoncer dans le mur et y laisser l’empreinte de son corps, mais ce genre de gag n’arrive que dans les dessins animés ou les films comiques. Fantômarx, qui avait lâché sa barre de fer, rebondit à son tour contre l’obstacle, repartit vers l’avant et fut propulsé directement dans la petite allée séparant les modules 2 et 3. Il s’affala sur un chariot transportant divers appareils électroniques et fonça comme un bolide vers l’autre côté de la salle.
« Hiiii-hi ! cria à nouveau Jackson Mitchell en s’élançant à sa poursuite.
Un fracas de métal et de verre brisé annonça aux deux humains que le cyborg au masque rouge était arrivé au terme de son rallye sur roulettes. Puis la rumeur d’une nouvelle bagarre leur parvint, avec force « hou-hou », « hii-hii » et autres imprécations caverneuses.
« Plutôt fortiche, le zombie, reconnut Terrasson, mais tout cela ne nous aide pas à sortir de ce foutu labo !
-Il faudrait que… »
Sarah fut interrompue par une sourde explosion provenant de l’autre côté de la double porte. Il y eut une cavalcade, quelques exclamations, et soudain ce cri miraculeux, à peine étouffé par l’épaisseur des panneaux métalliques :
« Houba leader, ici Houba 3 ! Vous êtes là ?
-Affirmatif ! gueula le capitaine, qui avait reconnu le lieutenant Ferrugia. Nous sommes bloqués derrière ces portes !
-On va les faire sauter tout de suite, répondit son camarade. Reculez-vous fissa ! »
Terrasson et Sarah s’empressèrent d’obéir et de se mettre à l’abri derrière le module 2. La jeune femme en profita pour jeter un coup d’œil dans l’autre partie de la salle, histoire de suivre l’issue de la baston opposant les deux cyborgs. Elle n’aperçut qu’une confuse mêlée à l’intérieur du module où elle avait découvert le sosie robotique de l’Empereur du funk.
Une forte détonation la ramena à d’autres priorités. Une charge de C-4 habilement placée venait de faire éclater la double porte, qui livra passage à deux hommes en combinaison noire qui se ruèrent dans la salle au milieu d’un tourbillon de fumée. Ils portaient leurs casques multifonctions et tenaient leurs Heckler and Koch prêts à aboyer.
« Putain, les gars, j’y croyais plus ! s’exclama Terrasson en leur tombant dans les bras.
-C’est Marsu leader qui nous a envoyés en renfort dès qu’ils vous ont vus en difficulté et que vous avez cessé d’émettre, expliqua Ferrugia. On a remis nos tenues et foncé à la rescousse, mais on a pas mal tâtonné avant de vous retrouver…
Le lieutenant se figea soudain en apercevant le cadavre de Pujol.
-Merde ! Il est…
-Ouais, coupa sombrement Terrasson. Où sont Houba 5 et 6 ?
-Je les ai laissés en faction sur le toit. D’après ce que nous transmet Marsu leader, c’est un tel bordel dehors qu’ils n’ont pas trop à craindre un assaut quelconque.
-Ouais, mais ne moisissons pas ici ! »
Terrasson chargea le corps toujours inanimé de Von Hansel sur ses épaules, tandis que Sarah en faisait autant avec le sosie de Lucas Zarkos. La fille avait du muscle, et le petit homme brun ne pesait pas trop lourd malgré son allure râblée. Andreas Papaphiloglou, le plus grec de tous les présidents de la République française, était toujours dans les vapes. Houba 4, alias Valentin, emmena de la même façon la dépouille de Pujol. Personne n’avait envie d’abandonner un camarade dans ces lieux maudits, qu’il soit mort ou vif.
« Et Jackson ? s’inquiéta soudain Sarah. On ne l’emmène pas avec nous ?
Terrasson fit la grimace :
-Désolé, Wonder Woman, mais on n’a pas de temps à perdre pour une machine ! Elle nous couvre pendant qu’on dégage, et c’est très bien comme ça !
La jolie brune fit la moue, mais dut se rendre à l’évidence. Du fond de la salle lui parvenait toujours le vacarme d’un titanesque affrontement, d’où émergeaient les glapissements de Jackson Mitchell :
« It doesn’t matter who’s wrong or right, just beat it ! Beat it ! Hou!”
-C’est quoi ce bordel ? s’inquiéta Ferrugia.
-T’expliquerai plus tard, grommela le capitaine, on fiche le camp ! »

*
Trujillo n’en menait pas large. Son chef lui avait ordonné, du fait de ses compétences, de grimper le premier le long des échelons métalliques plantés dans le béton de la cage d’ascenseur. Il préférait ne pas trop regarder en bas, dans ce puits sombre où brillaient de loin en loin quelques lumignons de secours. Il entendait simplement le halètement des camarades qui le suivaient, le frottement de leurs rangers sur les barreaux et le tintement de leur matériel qui s’entrechoquait au rythme de la montée. Encore un effort, et Trujillo prit pied sur la minuscule passerelle qui faisait le tour de la cage d’ascenseur et permettait d’accéder à tous les points du système de motorisation. Bien éclairé par sa lampe, le technicien se faufila autour de la machinerie jusqu’à la porte de visite donnant sur le couloir principal du niveau Six. Il fit passer le message à Ulrich Pickhardt par les hommes qui le suivaient en file indienne, plus nerveux que jamais.
Ce n’était pas tant par couardise que par manque de confiance en ses hommes, qu’il sentait de moins en moins disposés au combat, que « Pick » fermait ainsi la marche. Un grand nombre d’entre eux, les Allemands en particulier, avaient de la famille à la Colonia et s’inquiétaient de leur sort. Quant aux « latinos », leur propension à se faire tuer jusqu’au dernier pour satisfaire la soif de vengeance de leur chef était pour le moins sujette à caution.
« Trappe de visite prête à l’ouverture ! » transmit fidèlement le dernier de la file au Direktor.
Celui-ci allait donner ses consignes, quant une sourde détonation retentit.
-Cela vient de là-haut ! cria quelqu’un.
-Vos gueules ! hurla Pick, on entend plus que vous ! Ouvrez la trappe et placez-vous en tirailleurs dans le couloir. En avant ! Adelante ! Vorwärts !
Un autre bruit d’explosion vint ponctuer cette injonction martiale.
Les mains moites et tremblantes, Trujillo manoeuvra le petit verrou de la porte métallique et la poussa doucement avant de risque un œil dans le couloir du sixième étage. Il aperçut d’abord sur sa gauche le corps inanimé d’un garde gisant devant la porte des appartements de Von Hansel. Sur sa droite, au fond du couloir, il put distinguer au travers d’une fumée grise les portes défoncées donnant sur le grand laboratoire et l’ascenseur express. De sombres silhouettes s’y agitaient confusément. S’il sortait là, dans le couloir, comme Pickhardt l’avait ordonné, il serait totalement à découvert.
« En tirailleur ! songea-t-il avec amertume. On va se faire tirer comme des lapins, oui ! »
Il fit passer son premier état des lieux au Direktor, dont la réponse lui parvint rapidement par le biais de l’homme qui se tenait derrière lui, une grosse brute au front bas nommée Vogler, qui passait pour être le pitbull de Pickhardt.
-Tu te bouges le cul et tu sors dans ce putain de couloir, gronda l’abruti en appuyant le canon de son M-16 entre ses omoplates.
Le malheureux Trujillo sentit ses jambes se dérober sous lui, mais il n’avait pas le choix. Il repoussa davantage le panneau et entreprit de se faufiler à l’extérieur. Il avait à peine glissé sa tête à découvert que celle-ci explosa comme une pastèque trop mûre.

*
Ferrugia, alias « Houba 3 » n’avait pas loupé sa cible.
-Ennemi au contact au bout du couloir ! cria-t-il. Faut foncer vers le palier avant qu’ils ne nous barrent le passage. Je nous ouvre la route…fermez les yeux !
Il balança une grenade « flash bang » juste devant la porte par où le type était sorti. La détonation assourdissante et l’effet lumineux aveuglant ne pouvaient que désorienter quiconque pointerait son museau hors de l’ouverture. Les quatre hommes, la jeune femme et leurs fardeaux en profitèrent pour cavaler jusqu’au palier et gravir les marches quatre à quatre jusqu’au niveau supérieur. Ferrugia les couvrait en lâchant derrière eux quelques courtes rafales.
Ils furent bientôt sur la terrasse, en compagnie de Forterre et Ben Malek, et claquèrent la porte blindée derrière eux qui se verrouilla automatiquement. Tout autour, en bas, c’était l’enfer. Une bonne partie de la Colonia s’était embrasée, et offrait à leur regard un spectacle de fin du monde. Le hululement des sirènes et le grondement de l’incendie qui dévorait un à un les bâtiments du village obligeait tout le monde à hurler pour se faire entendre. La chaleur était insupportable, et l’air de plus en plus suffocant. Sur la place en contrebas filaient encore quelques véhicules chargés de personnes à évacuer. De toute évidence, on avait renoncé à combattre le brasier. C’était le sauve-qui-peut général.
-Cela ne va pas faciliter notre évasion, dit Ferrugia, qui venait de confier à Forterre la charge de surveiller la cage d’escalier. Nos ennemis sont dans la panade, mais l’air est trop surchauffé pour que les hélicos se posent comme il faut.
-Va falloir qu’ils nous treuillent, approuva Terrasson, mais ça va prendre du temps…
-Ouais ! Avec les zincs argentins qui rappliquent à toute bombe ! On est mal de chez mal !
Le capitaine Terrasson s’approcha de Sarah, qui s’était accoudée à la balustrade et contemplait, fascinée et horrifiée, l’ampleur de la catastrophe qu’elle avait déclenchée.
-Vous n’y êtes pas allée de main morte, mademoiselle Estevez…
-J’avais des ordres, lâcha-t-elle brutalement en s’éloignant de lui.

*

Les secours tant attendus par le vaillant commando français ne payaient guère de mine. Trois vieux hélicoptères, deux Bell UH1 Iroquois et un Jet Ranger, fonçaient à quelques mètres au-dessus des arbres de toute la puissance de leurs turbines trafiquées. Leur peinture noire et l’absence totale de feux de position les faisaient se confondre avec la nuit qu’ils ne troublaient que par le vacarme de leurs moteurs. Les services secrets brésiliens auraient certes pu se procurer des appareils plus modernes que ces engins datant de la guerre du Vietnam, mais il avait été décidé en haut lieu que l’on n’engagerait dans cette mission à haut risque que des vieux coucous disponibles sur n’importe quel marché de l’armement lourd et d’occasion, de manière à rendre plus crédible le bobard prévu d’une mystérieuse attaque terroriste.
Les appareils, dépourvus de toute marque distinctive, devaient de toute façon être détruits par le feu après leur retour en territoire brésilien. A leur bord, les commandos d’élite en tenue noire ne portaient eux non plus aucun indice de leur identité au cas où ils se feraient descendre. Quant à la capture…Ils avaient tous du cyanure sur eux.
La jungle qu’ils avaient survolée depuis le franchissement du Rio Iguazu fit brusquement place à la grande clairière défrichée entourant la Colonia Alemana. Les pilotes comprirent aussitôt la cause de l’immense lueur rouge orangée qui colorait le ciel nocturne depuis quelques minutes. Déjà, l’air chaud commençait à faire tanguer dangereusement leurs appareils.
« Hop leader à Marsu Leader, appela le pilote du Jet Ranger. Nous sommes sur l’objectif…C’est la panique là-dessous…aucune opposition…Nous allons nous placer au-dessus du centre administratif, mais la récupération ne va pas être facile !
-Bien reçu, Hop Leader…Faites au mieux, répondit le colonel Fernandes. Nos hommes vous attendent. Nous vous mettons en contact avec leur chef… »

*

A la lueur de l’incendie, Sarah et ses compagnons purent distinguer les ventres luisants des hélicoptères qui tournoyaient à cent mètres au-dessus d’eux en ajoutant leur vacarme à celui du brasier.
« C’est bien ce que je craignais ! cria Ferrugia aux autres. « Hop » vient de me dire qu’ils ne pourront pas se poser sur la Terrasse…Trop risqué à cause du pylône de télécommunications. Ils ont déjà du mal à tenir comme il faut là-haut avec toutes ces turbulences ! Ils vont nous treuiller…
-Tous à la fois ? s’enquit Terrasson.
-Non. Ils ne sont pas assez stables pour tenter une extraction en grappe de plus de quatre. Et pas question que deux appareils s’y mettent en même temps, ils devraient trop se rapprocher et pourraient se heurter !
-Et nous sommes neuf, avec Pujol...Putain de merde ! Même si on l’abandonne, il va falloir s’y prendre à deux ou trois fois !
Un long câble lesté muni de quatre harnais accrochés l’un derrière l’autre commençait à se dévider du flanc de l’un des deux Bell UH1. Il se balançait fortement dans l’air surchauffé et traversé d’épais panaches de fumée noire.
« Bon…par qui on commence ? demanda Forterre.
Ferrugia était censé avoir pris le commandement, mais il se tourna instinctivement vers le capitaine Terrasson. Celui-ci cogitait à toute allure, et décida :
-Le « président », Von Hansel, Pujol…et la fille !
-OK, approuva Forterre qui courut prêter main forte à Ben Malek pour réceptionner le câble.
Pendant quelques instants pénibles, ce dernier menaça de s’entortiller autour du pylône flanquant la terrasse, mais il fut enfin solidement empoigné par les deux hommes. Les corps toujours inanimés du faux Zarkos et du savant nazi furent les premiers sanglés, suivis du cadavre du malheureux Pujol. Sarah s’apprêtait à compléter la grappe, quand la nouvelle tomba dans les écouteurs de Ferrugia.
« Marsu Leader à Hop et Houba Leaders ! Les Argentins seront sur vous dans quelques minutes. Vous devez dégager immédiatement, ou vous êtes foutus !
-On termine juste la première grappe ! protesta Ferrugia.
-Ce sera la seule, trancha durement Fernandes. Ou alors ce sera le massacre général !

Ferrugia transmit aussitôt l’affreuse nouvelle à ses camarades d’infortune.
Sarah n’avait pas encore bouclé ses sangles. Elle se dégagea et tendit son harnais à Terrasson :
-Vous êtes blessé, capitaine, c’est vous qui partez !
-Pas question, vous êtes…
-Ouais, une femme, je sais ! Mais je suis la seule qui peut vous sortir de là autrement que par la voie des airs, alors je reste en bas !
Ils étaient en train de perdre un temps précieux en vaines palabres héroïques. Le capitaine dut convenir que la jolie brune avait raison. Il désigna Forterre, qui était le seul du groupe à avoir deux gosses :
-Accroche-toi immédiatement, tu es du voyage, mon vieux ! »
Une minute plus tard, la grappe humaine décollait et montait à toute allure vers l’hélicoptère qui tanguait au-dessus de la plate-forme. Le cœur serré, ceux qui restaient en bas virent les appareils basculer sur le côté et disparaître dans la nuit rougeoyante.
Leur affreux sentiment d’abandon fut soudain troublé par des coups sourds frappés à la porte blindée de la cage d’escalier, à quelques mètres d’eux. Ils avaient presque oublié qu’ils n’étaient pas seuls dans cet immeuble. Et ceux qui restaient avec eux semblaient bien décidés à les rejoindre…

A suivre…

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